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Page:Buies - Petites chroniques pour 1877, 1878.djvu/192

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souillure sans pouvoir l’enlever ; ainsi le temps sur la blessure qui est au fond de l’âme.


On se souvient surtout à l’âge où tous les rêves ont disparu, à cet âge où l’on ne peut plus vivre que de ce qu’on a été, et où l’on respire encore alors qu’on n’est plus qu’un spectre. L’avenir n’a plus ni sourires ni promesses, mais les regrets enveloppent le passé d’un mirage, semblable à celui dont la rosée du matin enveloppe les plages lointaines ; dans ce mirage vite évanoui flottent encore quelques images fugitives, images de ce qui fut autrefois des réalités bien chères.

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Mais c’est là la dernière illusion, et la nuit ne tarde pas à se répandre dans l’âme, comme le sommeil sur les yeux du vieux garçon qui finit par s’endormir dans sa chambre solitaire, au milieu de tous les fantômes qui l’entourent et qui s’envolent dès qu’il leur échappe. Seule, l’ombre de ses créanciers l’accompagne jusque dans le songe et lui donne le cauchemar. Alors il rêve qu’il est le père de dix enfants, il jette un cri terrible et se réveille en sursaut dans un océan de sueurs froides.

Depuis vingt ans il a de ces rêves-là qui l’ont toujours empêché de se marier.