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fiche, dépense un bien trop long temps à aiguiser sa plume, quand nous avons si grand besoin de critique sévère, portant droit et ferme comme celle qu’il a l’art d’infliger. Il se laisse dominer par ses dégoûts, lui qui a des idées et qui sait combien il nous en manque. C’est un tort, un bien grand tort, c’est une faute. Les quelques rares hommes qui tiennent une plume libre, indépendante des coteries, des cliques mesquines et risibles qui s’emparent chaque jour davantage du domaine de la littérature canadienne, ont des devoirs à remplir envers la partie saine des lecteurs. Ils n’ont pas le droit de réserver pour eux ce qu’ils pensent. L’idée, aussitôt éclose, appartient à tous ; elle est le patrimoine commun de tous ceux à qui il peut être utile ou avantageux de la connaître ; et l’écrivain, qui dédaigne de la communiquer, dérobe au public ce qui lui est dû ; il lui enlève la part qu’il doit contribuer à ses lumières et à ses progrès ; il s’esquive d’un devoir sacré dont rien ne saurait l’affranchir, pas même la désolante perspective de rester longtemps incompris ou de n’être pas écouté.

L’écrivain, comme tout ce qui vit, comme tout ce qui sent, est soumis à la condition essentielle de produire, loi supérieure pour lui en ce qu’il a le noble privilège de produire intellectuellement, de