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— VI —

gouvernements, soit ; mais comme cela compte dans la vie des particuliers ! J’ai vu ma fortune décroître à mesure que grossissait le vote libéral, et quand la majorité des libéraux devint écrasante, je touchais juste à la famine.

Si mon parti restait au pouvoir encore deux ans, les ultramontains se verraient obligés de me faire enterrer à leurs frais, et… je serais vengé.

Je ne suis même pas encore honorable, malgré mes cheveux gris, et j’ai vu Fabre précipité au Sénat sans qu’un même sort semblât me menacer. Déjà je navigue à pleines voiles dans l’âge mûr, âge sans témérités parce qu’il est sans illusions, et je n’ai pas été fonctionnaire un seul jour ! Je ne connais pas le bonheur d’avoir un chef de bureau, et déjà mon passé se compte par lustres dont le nombre m’inspire de sérieuses inquiétudes sur le nombre de ceux qu’il me reste à parcourir. Toutes les félicités officielles me sont inconnues, et j’ai passé des nuits entières à rêver d’une sinécure qui m’eût permis d’édifier un monument littéraire pour la postérité, j’entends pour la postérité la plus rapprochée, celle qui suivrait de très-près l’édification du monument et s’en montrerait digne en me comblant de largesses.

Pourtant, je ne me suis jamais plaint de ceux qu’on reconnaît, à ma pénurie obstinée, pour être