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RÉMINISCENCES

banquets, et cela pour aborder chaudement, virilement, les questions politiques. Il y déployait déjà tous les caractères de l’éloquence parlementaire ; c’était là son terrain, la politique étant sa véritable passion. Assurément il était destiné à s’y faire une carrière, et la plus brillante et la plus enviée, qu’il doit autant à son caractère élevé et pur de toute atteinte qu’à son admirable talent.

Geoffrion : mon vieux Geoff ! L’ami des temps durs, (a friend in need) qui se trouve toujours là à point pour me tirer d’embarras et ramener vers moi quelques petites ondes égarées du Pactole, dont je mourrai en contemplant, à un horizon de plus en plus lointain, le cours majestueux. Geoff est à la tête du barreau de Montréal, ce que je ne peux pas lui pardonner, parce que cette place m’était due. Il plie aujourd’hui sous le poids de sa clientèle… qu’il m’a volée. Il a encore fait pour moi toute espèce de bêtises, oui… Dieu merci ! Il m’a endossé des billets, les a payés, me les a remis en me recommandant de les jeter au feu, et m’a prêté de l’argent toutes les fois que j’avais l’air d’en manquer,… est-ce que vous ne trouvez pas que c’est humiliant et n’ai-je pas toutes les raisons du monde d’en garder rancune ?

La dernière fois de toutes j’avais fait un billet de quatre-vingts dollars. L’échéance arrivée, sans que je l’eusse prévue, j’avais quitté Montréal et Geoffrion était parti pour l’Europe. Je m’étais marié, circonstance encore plus inattendue qu’atténuante ; j’avais même eu un enfant mâle, héritier de toutes mes splen-