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RÉMINISCENCES

autour de la montagne de Montréal ; l’aimable et conciliant Oscar, qui s’était trouvé mêlé, on ne sait comment, à des radicaux de notre espèce, et qui, du fond de l’Assomption, son avant-dernière demeure, s’étonne d’avoir pu vouloir détruire l’ordre social.

Joseph Turgeon, mort il y a déjà six ans, qui avait eu un jour, lui aussi, des velléités littéraires et avait fait un essai intitulé : « Biographie de Camille Urso, la violoniste, » seul et unique essai qui avait failli tuer Camille Urso, sous le prétexte de raconter sa vie.

Letendre, dont le nom de baptême est Prisque, auquel s’ajoutait un Arthur, ce qui m’a toujours été particulièrement agréable, rédigeait alors l’Ordre, journal quotidien bourré de bons principes. Les « bons principes » avaient en ce temps-là une vogue prodigieuse et rapportaient abondamment, ce qui leur a valu le qualificatif qui les accompagne toujours.

Letendre est depuis de longues années protonotaire à Rimouski et il a conservé toute son intelligence, en dépit de ses fonctions. C’est à peu près l’homme le plus heureux de la province ; il a tous les droits et toutes les raisons de l’être, parce qu’il n’existe pas de nature plus liante que la sienne, ni de camarade plus obligeant. Malgré des aptitudes incontestables, il est resté sans progéniture, et son caractère n’en a pas été assombri, comme cela serait arrivé immanquablement à un autre fonctionnaire. Il hume, toute l’année durant, les délicieuses senteurs salines du fleuve qui, en face de Rimouski,