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RÉMINISCENCES

Les anciens, ceux qui avaient été les fondateurs de l’Institut, ne faisaient donc, comme je viens de le dire, que de bien rares apparitions à nos séances. Oui, cela est vrai, en général, à fort peu d’exceptions près. Mais, parmi ces exceptions, il en est une qui vaut à elle seule tout un chapitre, et dont il est juste que deux générations au moins gardent le souvenir.



En ce temps-là existait à Montréal un homme unique, indescriptible, tellement bizarre, paradoxal et phénoménal, qu’il ne comptait jamais avec les autres, et qu’il était impossible de le classer dans une catégorie quelconque d’hommes ayant certaines occupations ou habitudes connues et définies, vivant d’une vie commune à un certain nombre, ayant enfin des façons d’agir qu’on peut expliquer et qui se voient encore assez souvent, malgré leur étrangeté.

Celui-ci n’était rien de tout cela. Il était… enfin, quoi ? Il était… le citoyen Blanchet.

Jamais, dans aucun pays, il ne s’était vu un type comparable à celui-là. La nature, pour le créer, avait dû tirer des ficelles inouïes. Eh bien ! Cet être singulier, qui mit à quia toute une génération, vit aujourd’hui, aussi retiré et aussi inconnu que possible, sur un lopin de terre qu’il possède aux environs d’Arthabaska, où il ne lit peut-être pas un journal, lui qui en dévorait deux cents par jour.