Sa nature, son essence même, c’était l’invariabilité. Il avait toujours la même allure, le même maintien, le même regard, le même geste et le même habit. Je ne l’ai pas vu un seul jour habillé différemment et se tenant autrement que je l’avais vu cent fois, et que j’étais certain de le voir cent autres fois.
Il faisait à l’Institut des harangues terroristes et proposait des « motions » d’un radicalisme farouche, et cependant il était l’homme le plus inoffensif et le plus doux au monde.
C’est lui qui avait un jour rédigé une requête pour faire abolir la dîme, laquelle commençait par ces mots : « Aux Citoyens Représentants du Canada… » Cependant, dans l’Institut, quand il se levait pour parler, il ne disait jamais « Citoyen Président, » mais comme les autres, tout simplement : « M. le Président. » Je trouvais cela illogique et tout à fait dérogatoire au principe comme au langage rigoureux de la bonne et vraie démocratie ; je lui en demandai la raison. Il me regarda fixement dans les deux yeux, vit bien que malgré le sérieux que je tenais à quatre, je lui faisais une plaisanterie à ma façon ; il se retourna vivement et partit d’un immense éclat de rire dont le bruit me poursuit encore.
Pour nous, nous ne manquions pas d’assister à une seule de ses séances. Aussi le public était-il certain d’y entendre une discussion tous les jeudis soirs. Quel que fût l’ordre du jour, la question à débattre, nous nous rendions scrupuleusement avec nos rôles distribués à l’avance et notre arsenal d’arguments laborieusement monté. Et tout cela, croyez-le bien, n’était pas