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RÉMINISCENCES

petite pointe d’ironie aimable qui faisaient sourdre un attrait inconnu à travers la hauteur britannique. Pour moi je me délectais à projeter du plus loin possible mes saluts à des officiers que je rencontrais quelquefois dans les salons de Montréal, à les regarder maintenir un sérieux suffisamment réussi, jusqu’à ce que nous nous fussions passés, et se retourner ensuite pour m’envoyer force bonjours avec des rires joyeux.




Au bout de quinze jours d’exercices assez ponctuellement suivis, je crus m’apercevoir que mes progrès brillaient par leur lenteur et qu’aucun instinct de stratégiste ne se développait en moi. Évidemment la nature ne m’avait rien prodigué de ce côté-là, et j’allais mettre un temps infini à gagner mon certificat de deuxième classe et les cinquante dollars y annexés. Je devenais mélancolique. N’avoir rien de commun avec Napoléon m’humiliait « sans imites ». Je commençais à avoir les allures d’un déclassé, d’un fruit sec incontestable. La situation était pénible. Geoffrion, dont la mission spéciale est de me tirer d’embarras, sondant mes angoisses ; « Pourquoi, dit-il, ne prends-tu pas des leçons privées ? » C’était la véritable solution. Nous convînmes de ménager énormément sur le hachis et les autres articles de luxe, pour que je pusse subventionner un répétiteur militaire, avec toutes les apparences d’un aîné de famille distinguée.