Aller au contenu

Page:Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, tome 18, 1918.djvu/261

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

indra ou īçvara ne sont jamais employés comme second terme d’un composé karmadhāraya, avec le sens de « roi » : par exemple, on ne rencontrera jamais une forme telle que Jayavarmendra(rāja) ou Jayavarmeçvar(bhūpati) [1] pour désigner « le roi Jayavarman ». Par contre, indra et īçvara sont d’un emploi constant comme second membre d’un composé tatpuruṣa, et les expressions bien connues de Kambujendra, Kambujeçvara, « roi des Kambujas (ou du pays des Kambujas) », sont en quelque sorte les titres officiels des rois khmèrs [2].

Aussi, par analogie avec ces expressions bien connues, n’hésité-je pas à traduire Çrīvijayendrarāja, Çrīvijayeçvarabhūpati et Çrīvijayanrpati par « roi (du pays) de Çrīvijaya ».

Voilà donc deux inscriptions des VIIe-VIIIe siècles émanant toutes deux d’un royaume nommé Çrīvijaya. S’agit-il dans les deux cas d’un seul et même pays ? En d’autres termes, aurait-il existé à cette époque un royaume étendant sa suzeraineté de Bangka à Vieng Sa ? L’examen paléographique des inscriptions n’y contredit nullement. L’écriture de la stèle de Vieng Sa, surtout celle de l’inscription inachevée de la seconde face, présente les plus grandes ressemblances avec celle des inscriptions javanaises de la même époque [3]. D’autre part, cette même inscription inachevée débute par l’éloge d’un roi Çrī-Mahārāja : or, on sait par les Arabes d’une part que ce titre de Mahārāja (inusité dans l’épigraphie indochinoise) était particulier aux rois du Zābadj [4], et par les Chinois d’autre part que le même titre fut porté par plusieurs souverains du royaume de Palembang [5].

Mais l’existence d’un royaume ayant laissé des traces tangibles en deux endroits aussi éloignés l’un de l’autre que Bangka et Vieng Sa, et portant un nom inconnu jusqu’ici, est un fait nouveau d’une importance assez grande pour qu’il convienne de rechercher s’il n’y a pas, en dehors de ces rapprochements un peu vagues, d’autres arguments plus solides pour l’étayer.


En réalité, le nom de Çrīvijaya n’est pas complètement inconnu comme nom de pays. Il figure d’abord dans un manuscrit népalais à miniatures datant

  1. La forme Jayavarmeçvara existe bien, mais īçvara n’y a pas le sens de « roi », Jayavarmeçvara désignant une idole de Çiva, sous les traits du roi Jayavarman ou simplement consacrée par lui. Cf. ISCC, p 71, Çrī-Vijayeçvara désignant une statue de Çiva.
  2. M. Petithuguenin me fait remarquer que l’expression Sayāmindra est un des titres les plus fréquents du roi de Siam, notamment celui qui figure sur les monnaies.
  3. Cf. par exemple une inscription datée 775 çaka dans Oud-javaansche Oorkonden (VI), Verhand. Bat. Gen., LX, pl. 2.
  4. G. FERRAND, Textes arabes, p. 29 etc.
  5. GROENEVELDT, Notes on the Malay Archipelago, Verhand. Bat. Gen., XXXIX, p. 67 et suiv. — Cette expression « royaume de Palembang » qui reviendra souvent au cours de la présente étude est une désignation commode, mais je ne prétends pas en l’employant affirmer que la capitale de cet état fut toujours à Palembang.