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Page:Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, tome 18, 1918.djvu/279

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rapporté par Yi-tsing [1], avait aussi touché à Kie-tch’a : de Mo-lo-yeou il avait gagné ce point en quinze jours, et de là, mettant le cap à l’Ouest, il avait atteint en trente jours le port de Negapatam.

Selon M. Pelliot, « la forme théorique qu’on doit songer à restituer pour Kie-tch’a est Kada » [2]. Or cette forme est précisément celle à laquelle doit normalement aboutir skr. katāha dans les parlers indochinois. La chute de la finale aspirée ou sifflante, ou du moins sa dégénérescence en un simple visarga est courante et d’ailleurs naturelle dans des dialectes à tendance monosyllabique [3]. Quant au passage de la linguale sourde à la sonore, il est de règle en position intervocalique dans les prākrits [4]. Et, de fait, skr. katāha « poêle à frire » est devenu en khmèr khdāh (pron. khteah) et en siamois kadah (pron. kathah). Kie-tch’a est donc un équivalent très admissible de Katāha.

À qui objecterait que Kie-tch’a est attesté dès le VIIe siècle, tandis que Katāha n’apparaît pas avant le XIe, on peut répondre que,à côté de Kie-tch’a on trouve en chinois, postérieurement à l’époque de Yi-tsing, d’autres noms géographiques qui semblent bien n’être que des transcriptions un peu différentes du même original. Il y a d’abord le Kie-t’oque. d’après le Sin t’ang chou, les envoyés du P’iao (Birmanie) représentèrent aux Chinois comme étant sous la suzeraineté de leur pays [5]. Plus tard, Tchao Jou-koua nomme le Ki-t’o dont les vaisseaux venaient chaque année avec ceux du San-fo-ts’i et de Kien-pi [6], faire le commerce au Nan-p’i = Malabar [7]. Dans Kie-t’o et Ki-t’o, le caractère to est en fait une dentale [8]. mais on a des exemples de son emploi pour transcrire une linguale [9]. Donc Kie-t’oKada, Ki-t’o = Kida, ce dernier procédant peut-être d’une forme apparentée au Kidāram de la stèle de Rājarāja I. Le passage de la linguale à la liquide étant un phénomène courant, on devait être tenté d’identifier Kie-tch’a, Kie-t’o et Ki-t’o au Kalah ou Kilah [10] des géographes arabes, et au Ko-lo que Kia Tan place sur la côte septentrionale du Détroit de Malacca, et que le Sin fang

  1. CHAVANNES, loc. cit., p. 144. — TAKAKUSU, loc. cit., p. XLVI.
  2. BEFEO., IV. p. 351.
  3. Par ex. : khmèr Ràjagrih = skr. Rājagrha ; grohgraha, etc.
  4. PISCHEL, Gramm. d. Prakrit-Spr.,§ 198.
  5. PELLIOT, Deux itinéraires, BEFEO. IV, p. 352.
  6. Kien-pi = Kampe (Nāgarak.) = Kampei à Sumatra (PELLIOT. Ibid., n. 5).
  7. Trad. HIRTH-ROCKHILL, p 89.
  8. PELLIOT, Les noms propres du Milindapañha, JA., 1914, p. 388.
  9. S. LEVI, Catalogue des Yaksas de la Mahāmàyūī, index, s. v. t’o, JA., 1915 (I), p. 132. — Il suffit d’ailleurs que le nom soit parvenu aux oreilles des Chinois par l’intermédiaire d’un dialecte ne possédant pas de linguale pour qu’ils aient enregistré une dentale.
  10. La vocalisation Kilah semble suspecte à M. PELLIOT (loc. cit., p. 351 n. 6). Mais l’existence des formes Ki-t’o et Kidāram la rend au moins possible.