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Toutefois les Ethiques, rapidement terminées, furent publiées isolément, et Nicole Oresme poursuivit plus lentement sans doute et plus laborieusement, de 1371 à 1374, la traduction des Politiques, annoncée prématurément. Dans les nombreux manuscrits qui se répartissent, comme l’a montré Léopold Delisle, en trois familles distinctes, les Politiques sont pourvues d’un prologue et complétées, dans certains, par une traduction de l’Economique.

Les traductions exécutées non sur l’original grec, mais sur des traductions latines, étaient accompagnées d’une glose abondante, en partie originale, en partie empruntée à des commentaires antérieurs. Très érudit, très curieux aussi, en bon Normand qu’il était, de toutes les formes de l’activité contemporaine, Nicole Oresme n’hésite pas, quand la pensée d’Aristote lui paraît obscure ou peu accessible à ses lecteurs éventuels, à l’éclairer par des comparaisons suggestives avec l’actualité. L’étude des gloses d’Oresme fournit à l’histoire littéraire d’inappréciables renseignements ; c’est de cette mine aux précieux trésors que nous tirons deux mentions relatives à l’histoire du théâtre au XIVe siècle.

La première, déjà signalée par ailleurs, est extraite de la traduction des Ethiques (livre I, chap. XXV) où Aristote « détermine d’une vertu qui est vers jeux et esbatemens ».

Aristote, insistant sur la difficulté de garder dans les écrits plaisants la mesure et le bon goût, montre à quel point la comédie est un art difficile, si elle veut concilier le souci d’exciter le rire avec les exigences de la vertu. Il est aisé de satisfaire un auditoire populaire en poussant le comique au grotesque et d’obtenir le succès en s’abaissant à son niveau. Oresme comprend dans ses grandes lignes le texte latin d’Aristote, mais il s’en faut qu’il nous en donne une version très lumineuse :

« Et au moien habit [habitus, conduite, manière d’être], qui est vertu en ceste matiere, est propre la condition, laquelle ont ceulx qui sont habiles et disposez a bien converser avec les autres, et qui, en esbatemens, dient et escoutent volontiers telles choses comme il appartient dire et oïr a personne moderee et honneste et qui est liberal, c’est a dire de franc et liberal courage, car en tele partie, c’est assavoir en esbatemens, celui qui est modeste et liberal seult dire choses avenantes et honnestes, et difere le jeu de celui qui est de franc courage de celui qui est de servile condition ou nature ou maniere, et aussi le jeu du bien discipliné difere du jeu de celui qui est indiscipliné ou mal dottriné, et ce peut assez apparoir par les comedies des anciens et par celles que l’en fait a présent. »

Le mot comédie, qui n’était pas usuel au XIVe siècle, dans le sens où