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L’ORIENT
ET
LA QUESTION DE LA PAIX

Il a été fort peu question de l’Orient dans les notes publiées par le Pape et les puissances belligérantes dans ces dernières semaines. Pour peu que l’on y réfléchisse un peu on trouve ce silence très éloquent. Il est une des manifestations du système que l’on peut deviner chez les puissances centrales : accorder quelques miettes à leurs ennemis d’Occident très forts, encore très résolus, gênés mais pas d’être abattus par la guerre sous-marine, et remodeler à leur guise tout l’Orient.

Ces miettes que l’on abandonnerait à l’Ouest ne sont d’ailleurs pas le moins du monde les morceaux appréciables que certaines mouches du coche diplomatique se voient près de ramasser dans des conciliabules à tenir en Suisse ou ailleurs et à rapporter pour leur plus grande gloire. Il ne s’agit pas de la « désannexion » de l’Alsace-Lorraine ni de la libération de l’Italie irrédente. Lorsque les agents allemands chargent des neutres de pressentir tel ou tel de nos personnage en lui proposant des conversations où ils accepteraient de tout discuter, sauf la rive gauche du Rhin, on peut être assuré qu’on ne se trouve pas en présence de la moindre offre relative à l’Alsace-Lorraine. Chez nous on s’est habitué à faire une distinction aussi marquée que d’ailleurs honnête entre les pays de la rive gauche du Rhin et les provinces qui nous ont été arrachées en 1871 : nous pensons d’instinct que notre revendication sur celles-ci a un caractère moral tout particulier et qui s’impose aux Allemands eux-mêmes. Décevante illusion. Quand des conversations officieuses auraient été engagées, qu’on en aurait beaucoup parlé, c’est-à-dire énervé la volonté de guerre par la croyance à la possibilité d’une paix prochaine, l’interlocuteur allemand prendrait un air innocent pour dire qu’il n’a pas été compris, que l’Alsace est riveraine du Rhin et tombe, par conséquent, dans les sujets exclus par sa condition préalable : il offrirait, peut-être, de microscopiques rectifications de frontière en Lorraine, en ayant d’ailleurs bien soin de ne pas toucher aux champs de fer de la région de Metz. Se méfier des formules allemandes, conçues de manière à résérver toutes les échappatoires, est dans ces circonstances le commencement de la sagesse : l’auteur de cet article se rappelle comment, en 1905, tout le monde protestait à Berlin des bonnes intentions marocaines de l’Allemagne qui n’avait pas et ne désirait pas avoir « pignon sur la Méditerranée ». La franchise de cette formule a été assez révélée par les faits qui suivirent : l’Allemagne ne voulait peut-être pas en 1905 prendre le Maroc, mais le grever de telles servitudes qu’on les utiliserait à faire chanter la France jusqu’à ce qu’elle acceptât une domestication complète de sa politique extérieure. La vague formule conciliante des Allemands n’avait pas d’autre objet que de nous engager dans des mar- chandages dans lesquels on espérait nous en- traîner jusqu’à cette vassalité. Il faut donc être bien naïf ou d’une prodigieuse ignorance de tout le passé pour croire que ces bons apôtres lorsqu’ils se déclarent prêts à parler de tout sauf « de la rive gauche du Rhin » nous tiennent en réserve la restitution de l’Alsace-Lorraine. A moins de folie on ne saurait entrer en pourparlers avec eux que sur des bases si précises qu’elles rendraient inu- tile l’intervention de tout diplomate amateur, et sur lesquelles on négocierait dans un entier si- lence. On ne doit permettre aux illusions vani- teuses de personne de faire le jeu d’ennemis qui n’ont d’autre but que de nous attirer dans des conversations dilatoires, donnant lieu à tous les bavardages, et où le gouvernement le plus auto- cratique et le plus fort entraînerait les autres de concessions en concessions jusqu’à se contenter de choses si dérisoires que leur acceptation se- rait une irréparable catastrophe morale après de si grands sacrifices. Avant de parler de paix il faut bien se rendre compte de ce que doit être la seule procédure diplomatique que les Alliés puissent admettre. Et quant à l’Alsace-Lorraine, il suffit de considérer un instant l’attitude de l’Allemagne pour être fixé : comme on a com- mencé chez nous à parler des ouvertures falla- cieuses auxquelles nous venons de faire allusion, le Gouvernement de Berlin a opposé le démenti le plus hautain à toutes les rumeurs relatives à une rétrocession possible de l’Alsace-Lorraine. Pour que l’Allemagne, depuis les Junkers jusqu’à l’aile gauche des socialistes majoritaires, com- mence à envisager rien de tel il faudra qu’elle ait encore mangé de la vache enragée pendant bon nombre de mois.

Le seul point sur lequel sa presse a été autorisée à discuter le plus ou le moins est la Belgique. C’est la seule monnaie d’échange que, du côté allemand, on se soit dès maintenant montré disposé à mettre sur la table. Et encore ne l’abandonne t-on pas sans les plus âpres marchandages comme il a été possible d’en juger par les ballons