Page:Bulletin du Comité de l'Asie française, numéro 2, mai 1901.pdf/26

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sentiment plutôt que sur des intérêts matériels. Les services que la France a rendus au monde en évangélisant et en civilisant des peuples païens, surtout dans l’Orient, ont été très grands. En Mandchourie, l’œuvre accomplie par ses sœurs et missionnaires dévoués est immense. Beaucoup de villes et de villages de cette province sont catholiques. Et, bien que je sois un protestant, fortement opposé aux méthodes politiques romaines, je ne puis que parler dans les plus hauts termes de l’œuvre philanthropique et religieuse que j’ai vu accomplir par les catholiques français en Mandchourie. De cette œuvre, la France est justement fière, et je ne crois pas qu’elle voudrait la voir entravée, ce qui arriverait si la Russie annexait la Mandchourie. »

CORÉE

Un emprunt français. — Chaque mois, quelque événement vient rappeler la rivalité sourde de la Russie et du Japon en Corée : il est vrai que la presse britannique, qui transmet généralement ces rumeurs inquiétantes, grossit volontiers tout ce qui parait de nature à faire croire à un antagonisme irréductible entre la Russie et le Japon. Ces temps derniers, les Japonais se sont surtout inquiétés d’un emprunt de 5 millions de yen (2 fr. 58) que le gouvernement coréen aurait fait à un syndicat français, aidé, dit-on, de la Banque Russo-Chinoise, pour construire un chemin de fer entre Séoul et Oui-jou, sur le Yalou, à la frontière de Mandchourie. L’intérêt de l’emprunt serait de 5 1/2 % ; des mines et peut-être même les douanes coréennes auraient été données en gage.

Les journaux japonais se sont fort émus de cette mainmise financière qui leur paraît cacher une mainmise politique de la Russie, d’autant qu’un chemin de fer de Séoul à Oui-jou n’aurait d’autre objet que de relier un jour la capitale de la Corée au réseau russe de Mandchourie. Aussi dit-on que le ministre japonais à Séoul a fait des représentations au gouvernement coréen, tandis que les journaux du Japon disent que cet emprunt est contraire à l’esprit du traité russo-japonais de 1896, renouvelé depuis et aux termes duquel aucun des deux pays ne doit chercher à exercer dans le pays une influence exclusive. Mais les Russes pourraient répondre que, de leur côté, les Japonais prennent des positions, qu’ils ont racheté aux Américains le chemin de fer de Chémoulpo à Séoul, qu’ils construisent la ligne de Séoul à Fousan, que le gouvernement du Japon détourne soigneusement vers la Corée le flot de l’émigration japonaise et que, pour conserver à ces nationaux leur caractère, des Japonais en uniforme gardent les quartiers japonais des villes coréennes. Donc, si même la Russie est derrière les prêteurs du dernier emprunt coréen, elle n’est pas sortie du jeu. Il est évident, d’ailleurs, que ce dernier inquiète et irrite les Japonais, mais les choses semblent être en réalité moins aiguës que ne les présentent les journaux anglais qui annoncent, presque chaque mois, que la Russie va prendre à bail un port coréen ou se livrera à quelque autre empiètement. Il est à croire cependant que la Russie ne dépassera pas la mesure donnée par le Japon lui-même. Elle ne veut pas la guerre et elle sait qu’une rupture serait possible à propos de la Corée, que les Japonais considèrent un peu comme leur apanage, non seulement depuis la dernière campagne, mais même depuis l’époque où le glorieux Hideyoshi conquérait la Corée, d’où les Japonais devaient d’ailleurs être bientôt chassés par une armée chinoise.

JAPON

Une crise ministérielle. — Il n’est pas très aisé de se rendre un compte exact du caractère de la crise ministérielle qui a éclaté au Japon. La vie politique de ce pays, dominée par les anciens clans qui subsistent sous les partis parlementaires dont les noms sont des étiquettes sans valeur, est singulièrement confuse. D’autre part, le télégraphe est d’un laconisme remarquable en ce qui concerne cette crise japonaise.

Cependant, les nouvelles qu’il nous transmet permettent de se rendre compte que la crise a été causée par les difficultés financières devenues très sérieuses au Japon, ainsi que nous l’avons indiqué dans notre précédent Bulletin. Le télégraphe nous en a, d’ailleurs, apporté ce mois-ci une nouvelle preuve en nous annonçant qu’une vingtaine de banques d’Osaka et des provinces voisines avaient dû suspendre leurs paiements. Ces difficultés ont été augmentées par les dépenses de l’expédition de Chine. Le Japon n’a cessé d’avoir un corps de 10.000 hommes dans le Tche-li, alors que, l’année dernière, il n’en avait pas envoyé moins de 20.000, au moment où les légations de Pékin étaient en danger.

Toutes les sommes disponibles ayant été dépensées, le ministre des finances à proposé de faire face aux nécessités en retardant certains travaux publics et aussi en votant de nouveaux impôts sur les spiritueux, le tabac, le sucre, la bière, le pétrole, de manière à augmenter les recettes actuelles d’environ 50 millions de francs. Un projet dans ce sens a été sans peine adopté par la Chambre basse, mais les Pairs y ont fait une opposition persistante qui a amené la crise.

À première vue, il semble d’ailleurs que cette opposition est plutôt dirigée contre les politiciens, souvent assez peu recommandables, au pouvoir dans la Chambre basse, que contre le projet ministériel lui-même. Les Pairs ne sauraient, en effet, se faire la moindre illusion sur la possibilité de faire face à des dépenses imprévues, comme celle du maintien de l’occupation du Tche-li, sans créer de nouveaux impôts. Les finances japonaises sont, en effet, tendues à l’extrême. Les dépenses militaires sont extrêmement considérables pour un pays qui, ainsi que nous l’avons déjà dit, n’a pas encore une grande richesse acquise. Le budget de