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Page:Bulteau - Un voyage.pdf/159

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un voyage

jours. N’est-ce pas suffisant pour expliquer, ce fâcheux caractère ? Mais, et ceci intéresse, la seule chose qu’il subit sans irritation, c’est précisément cette souffrance. Gœthe nous le dit, il endurait ses maux avec un héroïsme tranquille, sans emphase : avec grâce. Évidemment il mettait sa fierté à ne pas se plaindre de cette torture physique — mais il se plaignait de tout le reste. Il supportait les opérations les plus atroces — et il ne supportait ni les maladresses ni les gentillesses de l’amitié, ni d’être contredit, ni d’être approuvé, rien en somme. C’est curieux, et triste aussi, cette transposition de l’impatience légitime en petites cruautés injustes ; ce détour de l’orgueil qui pense résister bravement à la peine physique, lorsqu’il change en sarcasmes le besoin de gémir ? Pauvre Herder, au lieu d’avouer que ses yeux lui faisaient mal, il raillait le nom de Gœthe. Et sans doute alors, était-il satisfait de son courage. La faiblesse humaine est ingénieuse, elle s’ouvre d’étranges chemins jusque dans l’âme des grands philosophes.

L’amour de sa femme eut sur lui une influence salutaire et l’adoucit. C’est, peut-être qu’il l’aimait assez pour n’avoir point d’orgueil devant elle. Peut être, il consentit à lui dire parfois qu’il avait bien mal aux yeux, et que c’est triste infiniment d’avoir mal aux yeux toute sa vie, lorsqu’on est un homme né pour les livres… Et ainsi son cœur se détendit, car il n’est pas de grandeur qui suffise à ôter des pauvres êtres le besoin de la plainte.

Tout près de sa demeure, au milieu de l’église