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un voyage

des cœurs obéissants et retardent les révolutions.

Tandis que, non sans envie, je compare l’ordre qui règne ici, au désordre que nos esprits égalitaires et ambitieux savent si bien créer et entretenir, un homme passe et me salue. Je ne le connais nullement. Malpropre, hagard, il a une cravate tordue et dénouée, un col déboutonné, une figure d’un jaune vilain, où les yeux chavirent. Il s’approche d’un groupe, salue profondément. Personne ne lui répond. Il va plus loin, salue encore, puis s’arrête, et d’une voix âpre qui parfois se casse péniblement, il prononce un discours, frappe sa poitrine à grands coups de poings. Il s’interrompt, rit aux éclats, prend un air insulté, se remet en marche, saluant à gauche et à droite. C’est un fou ! On ne fait pas la moindre attention à lui, on ne se retourne pas. Un si inquiétant individu n’excite aucune surprise.

Je suis loin de partager l’indifférence des promeneurs berlinois. J’éprouve une lâche satisfaction quand le fou tourne le dos à l’Allée de la Victoire où je médite de regarder soigneusement les trente-deux grands hommes que, sans beaucoup chercher, l’Empereur a découverts dans sa famille. — Je crois bien qu’il y en a trente-deux, cependant je ne m’engage pas à en faire la preuve.

Ces héros, taillés en plein marbre, et supportés, entourés, glorifiés par des monuments, de marbre aussi, sont beaux et majestueux à un point presque incroyable. Si on les eût laissé faire, la plupart tendraient nettement au type grec — comme la porte