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un voyage

court dès l’aube voir sa nouvelle demeure. Il visite et trouve le salon décoré de peintures qui le représentent et fort ressemblant, dans toutes les circonstances pénibles ou ridicules de son existence : ici son père le déshérite, là il fuit le champ de bataille ; ailleurs des chirurgiens lui font une opération qui prête à rire. D’Argens n’est plus si content. Il ne l’est pas davantage quand Frédéric exaspère jusqu’aux pires angoisses sa peur de la mort, et tire de ses nombreuses manies des moyens de le torturer. Mais, heureusement pour lui, d’Argens a une femme qu’il aime, une existence à soi, il peut résister. Il n’en va pas de même pour le malheureux Pollnitz qui a, sans succès, essayé de tous les pays de toutes les cours, changé de religion nombre de fois, tout tenté, tout manqué, et jusqu’à sa mort, reste à Potsdam faute de savoir où aller. Pollnitz, d’ailleurs, est une manière de legs du roi sergent. La fumée de tabac lui fait mal au cœur : il a subi les « tabagies » de Frédéric-Guillaume qu’il amusait. Il amuse aussi Frédéric II dont les moqueries féroces lui font peut-être plus mal au cœur que le tabac. Pollnitz est le souffre-douleur. Il endure ce que les autres, n’endureraient pas. Et lorsque disparait ce familier, ce compagnon mêlé à ses souvenirs et à l’intimité de sa vie, Frédéric écrit : « Le vieux Pollnitz est mort comme il a vécu, c’est-à-dire en friponnant à la veille de son décès. Personne ne le regrettera… que ses créanciers. »

Tous les amis de ce grand prussien n’ont pas eu les torts de Voltaire pourtant…