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un voyage

sont bridés, la bouche est épaisse. La gesticulation brusque et enfantine, la voix équivoque, tout fait de ce bonhomme le plus hallucinant personnage. Il se croit Allemand ? Comme il se trompe ! Il se prend pour le gardien du musée ? Mais, non. Les armées romaines l’ayant ramassé quelque part, bien loin, l’ont rapporté pour qu’il égayât de son apparence bouffonne l’heure du festin où on est las de causerie, de vin, et de la chanson des flûtes. Il est le contemporain de ces pierres sculptées, qu’il explique avec des mines d’en savoir long : le contemporain de Tibère ! S’il voulait, que d’histoires ne raconterait-il pas ? Il court, roule sur lui-même, remue son petit macfarlane, jacasse, rit d’un rire qui s’échappe du passé, tousse, crache, et m’explique qu’il a une bronchite chronique. Sans doute, il a froid dans le climat d’Allemagne, ce spectre falot venu d’Orient pour faire rire les maîtres du monde.

Il est si irréel, si impossible qu’il me distrait des vieilles pierres. Cependant en voici une qui m’arrête : est-ce un lion ? Le corps est bien d’un lion, très exactement observé. Mais ce lion a une tête humaine et la plus baroque. Une tête de vieux sémite un peu colère, un peu blagueuse. Au-dessus d’un gros double menton, cette inqualifiable créature montre les dents. Pour rire ? pour mordre ? Un énorme toupet la coiffe absurdement. Le sculpteur qui savait, en perfection, comment est fait le corps d’un lion, ignorait-il quelle figure a cette noble bête ? Est-ce ignorance, plaisanterie, symbole, ce visage loustic, pervers, d’une vie, d’un carac-