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ravenne

Plus de treize siècles ont couru depuis le jour où l’église de San Vitale fut inaugurée. Pourtant on n’y respire pas l’atmosphère secrète des monuments très anciens. L’inquiétude qui sort du passé, on ne l’éprouve pas devant ces ors, ces couleurs d’une richesse fabuleuse, ces chapiteaux pareils à d’épaisses et délicates guipures, et tous ces marbres : cipolin venu d’Égypte, si beau avec son rouge tragique de viscères ; jaspe au vert humide, pentélique d’un blanc onctueux, dont le grain serré pétille par place en courtes étincelles,

Malgré son style admirable, San Vitale est un bibelot exquis et frivole, une église de cour, une éblouissante salle de fêtes mondaines, destinée aux yeux, non à la prière. L’église qu’il fallait, pour que, parmi les symboles sacrés, on y plaçât — ornement suprême — le portrait de la mime Théodora.

Étrange portrait. Les restaurations successives n’ont pas réussi à en détruire le caractère. Il fascine. Le corps maigre de l’Augusta se perd aux plis abondants que fait la pourpre ourlée d’or. Un large et pesant diadème de pierreries emboîte la tête ; dessous une résille de perles énormes cache les cheveux ; des chaînes de perles pendent de chaque côté ; sur la poitrine et les épaules des colliers de perles. Entre les joyaux écrasants, surgissent le col étroit et haut, et le pâle visage qui, malgré le dur travail de la mosaïque, garde toute sa beauté. La joue est mince, l’ovale long et d’une délicatesse extrême, le nez très fin. La bouche contractée semble retenir un mauvais secret et préparer une invective. Les grands yeux obscurs sont