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devient grande, le moment approche où elle devra se décider à accepter ou à repousser la main de lord Vargrave ; et pourtant, dans ce village, comment peut-elle le comparer à d’autres ? Comment peut-elle choisir ? Ce que vous dites est très-vrai ; et je n’y avais pas suffisamment réfléchi. Que dois-je faire ? Tout ce que je souhaite, c’est d’agir de manière à assurer son bonheur, la chère enfant !

— J’en suis bien sûre, répliqua mistress Leslie, et cependant je ne sais que vous conseiller. D’une part les intentions de feu votre mari méritent tant d’être respectées de toutes les manières, que si lord Vargrave est digne de l’estime et de l’affection d’Éveline, il serait fort à souhaiter qu’elle le préférât à tout autre. Mais s’il est tel qu’on le juge dans le monde, d’après tout ce que j’entends, c’est-à-dire si c’est un homme fourbe, intrigant, presque sans cœur, un homme à l’âme ambitieuse et sèche, je tremble de penser à quel point tout le bonheur d’Éveline pourra se trouver compromis. Il est certain qu’elle n’a pas d’amour pour lui, et pourtant je crains qu’elle n’ait une nature malheureusement trop faite pour aimer. Il serait nécessaire à présent qu’elle vît d’autres hommes, qu’elle apprît à connaitre son propre cœur, et qu’elle ne fût pas poussée trop précipitamment à une décision d’où dépendra toute son existence. C’est un devoir que nous sommes tenues de remplir envers elle, et même envers feu lord Vargrave, malgré tout son désir que ce mariage se fît. Son but, sans aucun doute, était d’assurer le bonheur d’Éveline, et si le temps et les circonstances lui avaient prouvé que cette union était contraire au résultat qu’il se proposait, il y aurait certainement renoncé.

— Vous avez raison, répondit lady Vargrave, quand mon pauvre mari était étendu sur son lit de mort, avant de faire appeler son neveu pour lui donner sa dernière bénédiction, il me dit : « Il est possible que la Providence renverse tous nos projets. Si jamais il était essentiel au véritable bonheur d’Éveline que mon désir de la marier à Lumley Ferrers ne se réalisât pas, je vous laisse liberté entière de décider ce que je ne puis prévoir. Tout ce que je demande, c’est qu’on ne mette point d’obstacles à la réalisation de mon vœu, et qu’on élève l’enfant de manière qu’elle considère Lumley comme son futur époux. » Parmi ses papiers se trouvait une lettre qui m’était adressée, et dans laquelle il s’en remettait avec encore plus de confiance à mon propre jugement que je n’avais le droit de m’y attendre. Ah ! je suis