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« Lorsqu’elle atteindra l’âge où elle sera capable de juger par elle-même, si Éveline se décidait contre les prétentions de Lumley, vous savez que je ne voudrais, sous aucun prétexte, sacrifier son bonheur ; tout ce que je demande, C’est qu’on ne gêne en rien les vues de Lumley et qu’on favorise le dessein qui me tient depuis si longtemps au cœur. Qu’elle soit accoutumée à considérer Lumley comme son futur époux, qu’on ne l’influence pas contre lui, qu’on la laisse juger librement par elle-même quand le moment sera venu. »

— Vous pouvez voir, mylord, dit M. Aubrey en reprenant le document, que cette lettre porte la même date que le testament de votre oncle. Ce qu’il désirait qu’on fit, on l’a fait. Soyez juste, mylord !.. soyez juste et déchargez-nous de tout blâme ; qui saurait commander aux affections ?

— Ainsi, vous m’annoncez que je n’ai aucune chance, ni maintenant ni plus tard, d’obtenir l’affection d’Éveline ! Assurément, à votre âge, M. Aubrey, Vous ne pouvez encourager les idées folles et romanesques qui ne sont pas rares chez les jeunes filles de l’âge d’Éveline. Les personnes de notre rang me se marient pas comme Corydon et Philis dans les pastorales. Je n’ai jamais été assez niais pour m’imaginer qu’à mon âge je pusse inspirer à une jeune fille de dix-sept ans ce qu’on appelle un amour passionné. Mais les mariages heureux sont fondés sur la convenance des fortunes, sur une mutuelle connaissance, sur une indulgence réciproque, sur le respect et l’estime. Voyons, monsieur, laissez-moi espérer encore ; laissez-moi espérer que le même jour où j’aurai à vous féliciter de votre avancement dans l’église, vous me féliciterez aussi de mon mariage. »

Vargrave accompagna ces paroles d’un sourire gai et franc ; le ton dont il avait parlé était celui d’un homme qui veut déguiser un sens profond sous l’accent de la plaisanterie.

M. Aubrey, tout débonnaire qu’il était, sentit l’insulte contenue dans cette insinuation corruptrice, et il me put s’empêcher de rougir, par l’effet d’un ressentiment aussitôt réprimé que conçu.

« Excusez-moi, mylord ; je vous ai dit maintenant tout ce que j’avais à vous dire ; il vaut mieux laisser le reste à la décision de votre pupille elle-même.

— Comme vous voudrez, monsieur. Je vous prierai alors de porter à Éveline ma prière de vouloir bien m’accorder l’honneur d’une dernière entrevue. »

Vargrave se jeta dans un fauteuil, et Aubrey le quitta.