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quelle perspective ! Vous devriez engager votre maman à vous mener à Londres.

— À Londres ! L’idée seule d’y aller la rendrait malheureuse. Oh ! vous ne nous connaissez pas.

— Je ne puis m’empêcher de croire, miss Éveline, dit Caroline avec malice, que ce n’est pas seulement votre innocente petite manière de voir (que vous exprimez si gentiment) qui vous rend aveugle aux perfections de lord Vargrave, et indifférente aux attraits de Londres. Je suis convaincue que si l’on savait la vérité, on trouverait qu’il y a ici, outre le vieux pasteur, quelque beau jeune recteur, qui joue de la flûte, et qui prêche, en gants blancs, des homélies sentimentales. »

Éveline partit d’un éclat de rire folâtre, si folâtre que les soupçons de Caroline s’évanouirent. Elles continuèrent à se promener et à jaser ainsi jusqu’à la nuit ; puis elles rentrèrent. Éveline fit voir ses dessins à Caroline, et cette jeune personne, qui s’y connaissait, en fut étonnée. Le talent d’Éveline comme pianiste l’étonna encore davantage ; mais Caroline prit sa revanche d’un autre côté, car sa voix était plus puissante que celle d’Éveline, et elle chantait des romances françaises avec plus d’entrain. Caroline, dans tout ce qu’elle entreprenait, faisait preuve de talent, mais Éveline, en dépit de sa simplicité, avait du génie, bien que ce génie ne fût pas encore très-développé ; car elle possédait la facilité, l’émotion, la sensibilité, l’imagination. Et la différence qui existe entre le talent et le génie est plutôt dans le cœur que dans la tête.