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raient ses vêtements et lacéraient sa chair ; mais rien n’arrêtait sa course jusqu’au moment où il tomba enfin, haletant, épuisé. Il entendit sonner à quelque horloge lointaine la seconde heure du matin. Il avait quitté la forêt ; une ferme se trouvait devant lui ; et les toits blanchis de quelques chaumières dispersées çà et là brillaient sous le ciel serein. Ce ciel clair et tranquille, ce témoin de l’homme, opéra comme un charme sur des sens que les émotions récentes avaient jetés dans un trouble plus grand que de coutume. Le malheureux insensé considéra les demeures paisibles qui l’environnaient, et il poussa un profond soupir ; puis il se leva, se glissa dans un hangar qui avoisinait la ferme, et se jetant sur la paille, il dormit d’un sommeil profond et tranquille, jusqu’au moment où le jour et la voix des paysans dans le hangar vinrent le réveiller.

Il se leva reposé, calme, et assez lucide dans ses réponses pour qu’on ne soupçonnât pas son état. Il s’approcha des paysans effarés, se présenta à eux comme un voyageur qui s’était égaré la nuit au milieu de la forêt, et les pria de lui donner quelque nourriture et de l’eau. Quoique ses vêtements fussent déchirés, ils étaient neufs et d’une coupe élégante ; sa voix était douce ; il avait l’extérieur et les manières d’un homme d’un certain rang ; et puis le paysan français est fort hospitalier. Cesarini, après s’être rafraîchi, se reposa une heure ou deux à la ferme, puis il se remit en route. Il n’offrit pas d’argent, car les règlements de l’établissement qu’il venait de quitter n’en laissaient pas à la disposition des pensionnaires ; il n’en avait donc pas sur lui ; mais on ne s’attendait pas à en recevoir, et on lui dit adieu avec autant de bonté que s’il eût payé les bénédictions qui l’accompagnèrent. Il se mit alors à réfléchir et se demanda où il irait chercher un refuge, et comment il pourvoirait à ses besoins. Le sentiment de la liberté ranimait son intelligence, et la lui rendait tout entière pour un moment.

Il avait heureusement sur lui, outre quelques bagues de peu de prix, une montre d’une valeur assez considérable dont la vente pourrait subvenir à son entretien pendant plusieurs semaines, plusieurs mois peut-être, dans un de ces quartiers humbles et obscurs, les seuls où il pût se risquer. Cette pensée le rassura et le rendit heureux ; il continua de marcher courageusement, évitant les grandes routes. Le ciel était clair, le soleil brillant, l’air vif et sain. Oh ! quels doux ravissements gonflaient le cœur du voyageur