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L’Italien s’approcha du feu, qui déjà flamboyait et pétillait joyeusement ; il étendit ses mains amaigries au-dessus de la flamme, et parut jouir avec plaisir de la chaleur.

« J’ai froid… j’ai froid, dit-il piteusement, comme s’il se parlait à lui-même. La nature est une protectrice bien amère. Mais le froid et la faim sont pourtant moins impitoyables que l’esclavage et les ténèbres d’un cachot. »

En ce moment le domestique d’Ernest entra pour demander si son maître voulait se faire servir quelque nourriture, car il n’avait presque rien pris depuis qu’il était en route. Tandis qu’il parlait, Cesarini se tourna vivement, avec un regard avide. On ne pouvait se méprendre à ce regard. Maltravers commanda du vin et des viandes froides ; et lorsque le domestique eut disparu, Cesarini se tourna vers son ancien ami, avec un sourire étrange, et lui dit :

« Vous voyez le pouvoir de l’amour de la liberté sur l’homme ! On me donnait de tout en abondance dans la prison ! Mais j’ai entendu parler de misérables qui prenaient part à de joyeux festins avant leur exécution ; et vous aussi, n’est-ce pas ? et mon heure est proche. Pendant toute cette journée, je me suis senti enchaîné par une irrésistible fatalité à cette maison. Mais ce n’est pas vous que j’y cherchais ; n’importe ! dans la crise de notre destin, tous les agents qui ont exercé sur lui quelque influence se retrouvent réunis. C’est le dernier acte d’un bien triste drame ! »

L’Italien se retourna vers le feu, et se pencha sur l’âtre, en murmurant des paroles inintelligibles.

Maltravers restait silencieux et pensif. C’était le moment de replacer le fou sous la surveillance affectueuse de sa famille, de l’arracher aux horreurs de la famine, auxquelles l’avait condamné sa fuite. S’il pouvait retenir Cesarini jusqu’à l’arrivée de Montaigne !

Dans cette pensée, il se rapprocha tout doucement de son portefeuille qu’on avait posé sur la table, et, pendant que Cesarini lui tournait toujours le dos, il écrivit à la hâte quelques mots à Montaigne. Lorsque son domestique apporta le vin et les comestibles, il le suivit hors de la chambre, et lui commanda de faire envoyer son billet sur-le-champ. En rentrant il trouva Cesarini dévorant les aliments qu’on avait placés devant lui avec toute la voracité d’un affamé. C’était un horrible spectacle ! L’intelligence n’était plus que ruines, l’esprit n’était plus que ténèbres ; l’animal féroce et indomptable restait seul !