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dès le premier coup d’œil, l’homme le plus séduisant qu’elle eût jamais vu ; et même mistress Leslie, plus sérieuse, plus prudente, plus clairvoyante, fut presque aussi charmée à première vue. Ce ne fut que lorsque, dans les moments de silence, ses traits reprenaient leur expression naturelle, qu’elle crut découvrir dans son regard vif et soupçonneux, dans la contraction de ses lèvres, les preuves du caractère fourbe, astucieux, intéressé, que les hommes mêmes de son parti attribuaient, mystérieusement et à contre-cœur, à l’un de leurs principaux chefs.

Quand Vargrave prit la main d’Éveline, et, avec une galanterie significative, la porta à ses lèvres, la jeune fille rougit beaucoup d’abord, puis elle devint d’une pâleur mortelle ; et la couleur bannie de cette joue transparente fut lente à revenir y prendre place. Sans se préoccuper de ces signes qu’on pouvait interpréter de plusieurs manières, Lumley, qui paraissait fort gai, se mit à babiller de cent choses diverses : il loua le paysage, le temps, le voyage, il lança une plaisanterie par-ci, un compliment par-là, enfin il acheva de faire la conquête de mistress Merton et de Caroline.

« Vous avez quitté Londres au plus beau moment de la saison, lord Vargrave, dit Caroline après le dîner.

— C’est vrai, miss Merton, mais la campagne aussi est dans son plus beau moment.

— Vous aimez donc bien la campagne ?

— Par boutades, ma passion naît avec les premières fraises, et meurt avec les fraises-ananas. Je mène une vie tellement artificielle ! mais après tout c’est aussi une vie utile, je l’espère. Pour en faire une vie heureuse, il ne me manque plus qu’un intérieur.

— Quelles sont les dernières nouvelles ? Cher Londres ! Je regrette tant que ma grand’mère, lady Élisabeth, n’y aille pas cette année ; ce qui me condamne à mener une vie rustique. Lady Jeanne D*** se marie-t-elle enfin ?

— Voilà bien ce qu’une jeune personne appelle des nouvelles ! toujours le mariage ! lady Jeanne D*** ? Oui, elle va se marier, comme vous dites, enfin ! Tant que c’était une beauté, notre sexe froid n’osait s’en approcher ; mais à présent elle est fanée et laide ; c’est la vraie couleur pour une dame.

— C’est complimenteur !

— Assurément ; car vous autres jolies femmes, nous vous aimons trop pour être heureux avec vous, hélas ! et un ma-