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CHAPITRE XI

Voilà le messager de vérité ; voilà le légat du ciel.
(Cowper.)

À dater de cette soirée Lumley, ne retrouva plus l’occasion de causer avec Éveline en particulier. Il était évident qu’elle évitait de le rencontrer seul ; elle était toujours avec sa mère, ou avec mistress Leslie, ou avec le bon prêtre qui passait une grande partie de son temps au cottage ; car le vieillard n’avait ni femme ni enfants ; il était seul chez lui, et il s’était habitué à considérer la veuve et sa fille comme sa famille. Il était pour elles l’objet de la plus tendre affection et du plus profond respect. Il était heureux de leur amitié, et il la leur rendait avec la tendresse d’un père et la bienveillance d’un pasteur. C’était un caractère rare que celui de ce prêtre de village.

Né de parents obscurs, Édouard Aubrey avait de bonne heure manifesté des talents qui avaient attiré l’attention d’un riche propriétaire, charmé de jouer le rôle de protecteur. On avait envoyé le jeune Aubrey en pension, et de là à l’université ; il y obtint plusieurs prix, et il y conquit un rang distingué. Aubrey n’était pas dépourvu de l’ambition et des passions de la jeunesse : quand il entra dans le monde, il était ardent, inexpérimenté, et sans guide. Il le quitta avant que ses erreurs devinssent des fautes, ou que ses folies dégénérassent en habitudes ; ce furent la nature et l’affection qui le rachetèrent, et le sauvèrent de cette double alternative : la gloire, ou la ruine. Sa mère, vieille et veuve, fut soudain frappée d’une cruelle maladie. Aveugle et alitée, elle n’eut plus d’autre soutien que son fils unique. Cette affliction réveilla chez Édouard Aubrey un nouveau caractère. Sa mère s’était dépouillée de son bien-être pour l’élever ; en retour, il lui consacra sa jeunesse. Elle était tombée en enfance. Par un sentiment mêlé d’égoïsme et de répugnance, naturel à son âge, elle refusa d’aller à Londres ; elle ne vou-