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qu’il avait conçus et écrits dans cette silencieuse retraite.

Mais son attention fut tout particulièrement attirée vers l’un des deux portraits qui surmontaient les cheminées. Le plus éloigné représentait un homme revêtu d’une riche armure de fantaisie de l’époque de la reine Élisabeth ; il avait la tête nue, et son casque était posé sur une table où s’appuyait sa main. La figure était belle et expressive ; une inscription portait le nom de Digby, l’un des ancêtres de Maltravers.

L’autre portrait représentait une belle jeune fille de dix-huit ans, portant le costume, presque antique maintenant, d’il y a quarante ans. Les traits étaient délicats ; mais la peinture s’était décolorée, et l’expression de la figure était triste. Un rideau de soie, tiré de côté, semblait indiquer combien le possesseur de ce portrait y attachait de prix.

Éveline se retourna vers son cicerone comme pour demander une explication.

« Voici la seconde fois seulement que je vois ce tableau, dit Caroline ; car ce n’est qu’à grand’peine, et comme par une mystérieuse faveur, qu’on décide la vieille femme de charge à en écarter le voile. Maltravers, sous l’impression de quelque idée sentimentale, le regarde comme sacré. C’est le portrait de sa mère avant son mariage ; elle mourut en lui donnant le jour. »

Éveline soupira. Elle comprenait trop bien le sentiment qui paraissait si excentrique à Caroline. La physionomie de ce portrait la fascinait, et son regard semblait la suivre.

« Pour faire convenablement pendant à ce portrait, dit Caroline, il aurait dû bannir d’ici l’effigie de ce belliqueux gentilhomme pour la remplacer par celle de la pauvre lady Florence Lascelles, dont la perte, dit-on, lui a fait quitter le pays. Mais peut-être était-ce plutôt la perte de sa fortune.

— Comment pouvez-vous dire cela ? Fi donc ! s’écria Éveline, par une impulsion de généreuse indignation.

— Ah ! ma chère, vous autres héritières vous éprouvez de l’intérêt les unes pour les autres ! mais après tout un homme d’esprit est moins sentimental que nous ne le pensons. Ouf !… Cette chambre silencieuse me donne le spleen, j’imagine.

— Chère petite Éveline, dit tout bas Cécile, je trouve que vous ressemblez un peu à ce joli portrait ; seulement vous êtes bien plus jolie. Ôtez donc votre chapeau ; vos cheveux retombent tout juste comme les siens. »

Éveline hocha gravement la tête ; mais l’enfant gâtée dé-