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le tableau, n’a pas vécu assez pour connaître la gloire de son fils, pour se réjouir de ses succès, pour le consoler dans ses douleurs. Et lui, ce fils, exilé solitaire et désenchanté, il erre dans de lointains pays, tandis que des étrangers foulent ses foyers abandonnés ! »

Les images qu’elle avait évoquées attendrissaient et remplissaient son âme, et debout devant le portrait, la tête rejetée en arrière, elle continuait à le regarder avec des yeux humides. Elle était ravissante à voir ainsi, avec son teint délicat, ses cheveux opulents (car elle n’avait pas encore remis son chapeau), et sa taille flexible ; elle était rayonnante de jeunesse, de santé, d’espérance. Comme sa beauté vivante contrastait avec la toile fanée représentant la défunte, jadis aussi jeune, aussi tendre, aussi jolie qu’elle ! Éveline détourna la tête en soupirant… l’écho sembla répéter ce soupir avec plus de ferveur ! Elle tressaillit : la porte qui conduisait au cabinet de travail était ouverte, et dans l’embrasure de cette porte se trouvait un homme dans la force de l’âge. Ses cheveux, aussi abondants que dans sa première jeunesse, quoique brunis par le soleil de l’Orient, encadraient en boucles épaisses un front d’un majestueux développement. Ses traits accentués et fiers, bien en rapport avec sa stature d’une élévation peu commune, son teint pâle, mais bronzé, ses grands yeux du bleu le plus sombre, ombragés par des cils et des sourcils noirs : et plus que toute autre chose, cette double expression de passion et de repos qui caractérise les anciens portraits italiens et qui semble dénoter la puissance impénétrable que l’expérience donne à l’intelligence : tout cela constituait un ensemble qui, sans posséder une beauté irréprochable, avait néanmoins quelque chose d’assez saisissant pour commander l’intérêt. C’était une figure qu’on ne pouvait oublier une fois qu’on l’avait vue ; c’était une figure qui avait longtemps et presque à son insu, animé les jeunes rêves d’Éveline ; c’était une figure qu’elle avait déjà vue : quoique, plus jeune, plus douce, et moins brune à cette époque, cette figure eût alors un aspect tout différent.

Éveline, immobile, et comme enracinée au sol, se sentait rougir jusqu’aux tempes ; elle offrait une ravissante image de timidité confuse et d’innocent effroi.

« Ne me faites pas regretter mon retour, dit l’étranger en s’avançant après un moment de silence ; et sa voix et son sourire étaient pleins de douceur : ne me laissez pas croire