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sa vie elle-même ne pouvait être garantie qu’à la condition de déployer une vigilance continuelle et une prompte énergie, l’avaient arraché pendant quelque temps aux contemplations maladives et tristes qui l’absorbaient. Son cœur, à la vérité, était resté inactif ; mais son intelligence et ses forces physiques avaient été continuellement exercées. Il rentrait dans la société de ses égaux l’esprit chargé des trésors d’une expérience vaste et variée, et pénétré de cette sombre morale qui démontra aux méditations funèbres de Rasselas sortant des catacombes la vanité de la vie humaine et l’absurdité des aspirations ambitieuses de notre nature.

Ernest Maltravers, qui n’avait jamais été un caractère complet et sans défauts, et qui, dans la pratique, restait toujours au-dessous de ses capacités morales et intellectuelles, par suite du désir même qu’il avait de franchir les limites du sublime et du beau, était en apparence aussi éloigné que jamais du grand secret de la vie. Pourtant il n’en était rien, son esprit avait acquis ce qui lui manquait naguère : la dureté. Lorsqu’on demande trop peu aux hommes, on est plus près de la vertu véritable et du vrai bonheur que lorsqu’on exige trop d’eux.

Néanmoins, en partie par suite de cette étrange existence qui l’avait jeté parmi des hommes auxquels sa sûreté personnelle lui faisait une nécessité de commander en despote, en partie par l’habitude du pouvoir et le dédain du monde, son caractère s’était imprégné d’une impérieuse sévérité de manières, qui ressemblait souvent à de la rudesse et à de la misanthropie, quoiqu’elle cachât une générosité et une bienveillance réelles.

Plusieurs des sentiments de sa jeunesse, plus aimables et plus complexes, s’étaient fondus en une seule qualité prédominante : l’orgueil ! L’amour-propre inactif et l’ambition mal satisfaite engendrent généralement la fierté. Cette qualité qui, bien dirigée et réglée dans de sages limites, forme l’essence même de l’honneur, était portée si loin chez Maltravers qu’elle devenait un vice. Il en reconnaissait parfaitement l’excès en lui ; néanmoins il la chérissait comme une vertu. L’orgueil avait servi à le consoler dans le chagrin, et c’est ce qui avait fait de l’orgueil son ami ; l’orgueil l’avait soutenu au milieu des dégoûts inspirés par la duplicité, ou de la résistance qu’il avait dû opposer à la violence, et c’est ce qui avait fait de l’orgueil son champion et Sa forteresse.