Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/118

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Nous nous arrêtâmes tous deux. Le Savoyard, en nous voyant, pencha sur l’épaule sa malicieuse tête, montra ses dents blanches dans ce joyeux sourire qui est particulier à sa race et avec lequel la pauvreté semble mendier si gaiement, et fit faire un tour à la manivelle de son instrument.

« Pauvre enfant ! dis-je.

— Ah ! ah ! vous le plaignez ! mais pourquoi ? D’après vos principes, monsieur Caxton, il n’est pas tant à plaindre. Le joaillier hydropique lui donnerait tout autant pour ses membres et santé que pour les nôtres. Comment se fait-il donc, répondez-moi, ô fils d’un père si sage, que personne ne plaigne le joaillier hydropique, et que tout le monde plaigne le Savoyard bien portant ? C’est qu’il est une triste vérité, plus forte, monsieur, que toutes les leçons spartiates : La pauvreté est le plus grand des maux de ce monde. Regardez autour de vous. Les pauvres ont-ils des monuments funèbres ? Voyez ce grand mausolée entouré d’une grille ; lisez cette longue inscription : Modèle de vertus… meilleur des époux… père affectionné… douleur inconsolable… il dort dans une joyeuse espérance, etc., etc. Pensez-vous que ces tertres nus et déserts ne recouvrent pas une poussière d’hommes qui furent justes et bons ? Pourtant aucune épitaphe ne dit leurs vertus, ne parle de la douleur de leurs femmes, ne leur promet de joyeuse espérance !

— Qu’est-ce que cela fait ? Dieu regarde-t-il les épitaphes et les pierres tumulaires ?

Date mi qualche cosa ! » dit le Savoyard dans son touchant patois, souriant toujours et tendant sa petite main où je laissai tomber une petite pièce de monnaie.

L’enfant témoigna sa gratitude par un nouvel air de sa vielle.

« Ce n’est pas là travailler, dit mon compagnon ; et si vous l’aviez rencontré travaillant, vous ne lui eussiez rien donné. Moi aussi, j’ai un instrument à jouer et des souris à nourrir. Adieu ! »

Il me salua de la main et enjamba irrévérencieusement les tombes dans la direction d’où nous étions venus.

J’étais debout devant le beau mausolée à la pompeuse épitaphe. Le Savoyard me regardait fixement.