Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/140

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J’étais occupé, pendant que mon père parlait, à polir quelques rayons pour ces esprits d’élite : car ma mère, prévoyant toujours ce qui pouvait faire plaisir à mon père, avait deviné qu’il faudrait faire quelques arrangements à cet effet dans un appartement loué. Aussi elle avait emporté ma petite boîte d’outils, et était sortie dans la matinée pour acheter les matières premières. J’arrêtai mon rabot au milieu de son parcours sur la partie déjà aplanie, et fis cette observation :

« Mon cher père, si à l’institut philhellénique j’avais regardé avec autant d’effroi que vous les grands gaillards qui m’avaient devancé, je serais resté à tout jamais le dernier de la dernière division !

— Pisistrate, vous êtes un aussi grand agitateur que votre homonyme ! s’écria mon père en souriant. Ainsi, foin des grands gaillards ! »

En ce moment ma mère entra, coiffée de son charmant bonnet du soir. Elle était tout sourire et toute bonne humeur. Elle venait d’arranger une chambre pour l’oncle Roland, de conclure un traité avantageux avec la blanchisseuse, et de tenir un grand conseil avec Mme Primmins sur la meilleure manière d’échapper aux extorsions des marchands de Londres. Contente d’elle-même et de tout le monde, elle baisa le front de mon père incliné sur ses notes, et s’approcha de la table où le thé n’attendait plus que la divinité qui devait présider au banquet. Mon oncle Roland, avec sa galanterie habituelle, se leva, la bouilloire à la main (notre fontaine, car nous en avions une à nous, n’étant pas encore déballée) ; puis, ayant rempli avec la régularité d’un soldat le devoir chevaleresque qu’il s’était imposé, me rejoignit à mon ouvrage et dit :

« Il est une meilleure lame pour les mains d’un homme bien né que celle d’un rabot de menuisier…

— Eh, eh ! mon oncle, cela dépend.

— Cela dépend ! de quoi ?

— De l’usage qu’on en fait. Pierre le Grand travaillait plus utilement en construisant des vaisseaux que Charles XII en coupant des gorges.

— Pauvre Charles XII ! s’écria mon oncle avec un profond soupir. Voilà un brave !

— C’est dommage qu’il n’aimât pas un peu plus les dames !

— Aucun homme n’est parfait ! dit mon oncle sentencieuse-