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— Si cela vous fait plaisir, répondit le capitaine, se redressant militairement au point qu’il me parut avoir plus de sept pieds.

— Cela me ferait plaisir, reprit mon père avec douceur. Il y a vingt ans que nous ne nous sommes vus.

— Il y a plus de vingt ans, dit mon oncle avec un grave sourire ; et c’était à… à la chute des feuilles.

— Tous les sept ans, l’homme renouvelle les fibres et toute la substance de son corps, continua mon père ; en trois fois sept ans, il a bien le temps de se renouveler le cœur. Il serait impossible de trouver dans la rue deux passants entre les figures desquels il y eût aussi peu de ressemblance qu’il en existe entre un cœur aujourd’hui et le même cœur vingt ans auparavant. Frère, ce n’est pas vainement que la charrue laboure la terre, et le chagrin le cœur de l’homme. Des moissons variées changent la nature du sol ; mais il faut que la charrue s’enfonce profondément avant de ramener à la surface la pierre mère.

— Eh bien, voyons Trévanion ! » s’écria mon oncle. Puis se tournant vers moi, il me demanda brusquement : « Combien a-t-il d’enfants ?

— Une fille.

— Pas de fils ?

— Non.

— Cela doit bien contrarier ce pauvre fou plein d’ambition… Oh ! oh ! vous admirez fort ce M. Trévanion, n’est-ce pas ? Oui, cette belle ardeur, ces belles phrases, ces pensées hardies, il y a là de quoi éblouir la jeunesse.

— De belles phrases, mon cher oncle ! de l’ardeur ! J’allais vous dire, ayant entendu M. Trévanion, que je suis très-surpris, le style de sa conversation étant si commun, qu’il ait pu se faire une si belle réputation d’orateur.

— En vérité !

— La charrue a passé par là, dit mon père.

— Mais pas la charrue des soucis. Riche, célèbre, Ellinor pour femme… et pas de fils !

— C’est parce qu’il a quelquefois le cœur plein de tristesse qu’il désire nous voir. »

Roland regarda fixement mon père d’abord, et moi ensuite.

« Alors, dit-il cordialement, au nom de Dieu, qu’il vienne !