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l’heure à sa montre, secoua la tête et se dirigea vers un banc où il resta assis dans une immobilité complète, le chapeau enfoncé sur les sourcils, les bras croisés, jusqu’au lever de la lune. Je n’avais rien mangé depuis le déjeuner : j’étais affamé, mais je continuai mon guet comme une sentinelle de l’ancienne Rome.

Enfin le capitaine se leva et rentra dans Piccadilly ; mais quel changement dans son aspect et sa tenue ! languissant, abattu, la poitrine rentrée, la tête penchée, les membres se traînant avec effort, son boitement nullement déguisé. Quel contraste entre l’invalide rompu de fatigue et le vétéran si robuste le matin !

Oh ! que j’aurais voulu m’élancer vers lui pour lui offrir mon bras ! mais je n’osais pas.

Le capitaine s’arrêta près d’une station de cabriolets. Il mit la main à la poche, en tira sa bourse, en tâta le contenu ; mais la bourse rentra dans la poche, et, comme par un effort héroïque, le capitaine releva la tête et continua vaillamment sa course. « Où peut-il aller à présent ? pensai-je ; à la maison, pour sûr. Non, il est sans pitié. »

Le capitaine ne s’arrêta que lorsqu’il fut arrivé devant un des petits théâtres du Strand. Là, il lut l’affiche et demanda si l’heure du moitié prix était sonnée.

« À l’instant, » répondit-on, et le capitaine entra.

Je pris aussi un billet et le suivis. J’entrai dans le salon du buffet et me réconfortai avec quelques biscuits et de l’eau de Seltz. Une minute après, j’assistais pour la première fois de ma vie à la représentation d’une pièce de théâtre. Mais elle ne m’amusa point. On était au milieu d’une des farces qu’on joue après la grande pièce ; des éclats de rire retentissaient autour de moi. Je ne trouvais rien de risible, et promenant hardiment mes regards sur toutes les parties de la salle, j’aperçus enfin, au dernier rang des loges, un visage aussi sombre que le mien. Eurêka ! c’était celui du capitaine. « Pourquoi va-t-il au spectacle s’il s’y amuse si peu ? pensais-je. Il aurait mieux fait de dépenser son schelling pour un cabriolet, le pauvre vieux ! » Mais bientôt des messieurs à la tournure élégante et des dames plus élégantes encore vinrent se placer près du coin solitaire du pauvre capitaine. Il s’impatienta, il se leva, il disparut. Je quittai ma place et me postai devant les loges