Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/191

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Jack était trop courroucé pour parler.

« Pourvu que j’y introduisisse une intrigue d’amour convenable, et que je fisse la matière de trois volumes in-8o format écu, vingt-trois lignes par page, ni plus ni moins, il s’est trouvé enfin un honnête homme qui m’a paru très-respectable et très-entreprenant. Après avoir fait une série de calculs tendant à prouver l’impossibilité de tout bénéfice, cet homme m’offrit très-généreusement la moitié de ce non-bénéfice à condition que je lui garantirais la moitié de ses dépenses. J’étais justement occupé à réfléchir s’il serait prudent d’accepter cette proposition, lorsque votre oncle fut saisi d’une idée sublime qui a emporté mon livre dans un tourbillon plein d’espérances.

— Et cette idée ? demandai-je avec découragement.

— Cette idée, reprit l’oncle Jack qui s’était calmé, la voici simplement et sans détours. Depuis un temps immémorial les auteurs ont toujours été la proie des éditeurs. Monsieur, les auteurs ont vécu dans les mansardes, se sont étouffés dans la rue à manger une croûte de pain qu’ils n’attendaient plus, comme cet homme qui écrivait des drames, l’infortuné !

— Otway ! dit mon père. Le fait est controuvé ; mais n’importe !

— Milton, monsieur, tout le monde le sait, Milton a vendu le Paradis perdu pour dix livres sterling… dix livres, monsieur. Bref, il y a trop d’exemples pareils pour les citer. Tandis que les libraires… monsieur, les libraires sont des léviathans ; ils se vautrent dans des océans d’or. Ils vivent de la substance des auteurs comme ces vampires qui sucent le sang des petits enfants. Mais la patience a enfin atteint sa limite ; l’arrêt est prononcé ; le tocsin de la liberté s’est fait entendre ; les auteurs ont brisé leurs fers, et nous venons d’inaugurer l’institution de la grande société antiéditoriale des auteurs confédérés, par le moyen de laquelle, Pisistrate, par le moyen de laquelle, notez-le bien, chaque auteur devient son propre éditeur ; c’est-à-dire chaque auteur qui se joindra à la société. Des ouvrages immortels ne seront plus soumis à des calculateurs mercenaires et sans goût. Plus de durs marchés, ni de cœurs brisés ! plus de Paradis perdus à dix livres la pièce ! L’auteur soumet son livre à un comité désigné pour cet effet, un comité d’hommes délicats, instruits, polis, auteurs