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ôté son chapeau et regardait cette scène avec de grands yeux sérieux. « Chut ! s’il l’a cassé, madame, c’est par accident ; il n’a jamais eu l’intention de le casser. N’est-ce pas, monsieur Sisty ?… Parlez donc, ajouta-t-elle tout bas, ou papa va se mettre en colère.

— C’est bien ! dit ma mère. Je veux croire que c’était par accident. Mais faites attention à l’avenir, mon enfant. Vous êtes fâché, je le vois, de m’avoir fait de la peine. Venez que je vous embrasse, et ne vous tourmentez pas.

— Non, maman, il ne faut pas m’embrasser ; je ne le mérite pas. J’ai fait exprès de pousser le pot de fleurs.

— Ah ! et pourquoi ? » demanda mon père en s’approchant.

Mme Primmins tremblait comme une feuille.

« Pour m’amuser, répondis-je en baissant la tête. Pour voir quelle figure vous feriez, papa ; voilà la vérité. Maintenant battez-moi, battez-moi ! »

Mon père jeta son livre, se baissa et me prit dans ses bras.

« Enfant, dit-il, vous avez fait le mal ; mais vous le réparerez en vous rappelant toute votre vie que votre père rend grâces à Dieu de lui avoir donné un fils qui ne craint pas de dire la vérité… Et vous, madame Primmins, au premier mensonge de cette sorte que vous essayerez de lui apprendre, nous nous séparerons pour toujours. »

C’est en ce moment que je sentis pour la première fois que j’aimais mon père, et que je sus qu’il m’aimait ; de ce moment aussi il commença à s’entretenir avec moi. S’il me rencontrait dans le jardin, il ne passait plus devant moi avec un sourire et un signe de tête ; il s’arrêtait, mettait son livre dans sa poche, et, quoique ses paroles fussent souvent au-dessus de mon intelligence, pourtant je me sentais en quelque sorte plus heureux et meilleur et moins enfant lorsque j’y réfléchissais et que je cherchais à en démêler le sens ; car il avait une certaine façon, non pas d’enseigner, mais de m’insinuer certaines choses dans la tête, où elles se développaient ensuite d’elles-mêmes.

Je me rappelle un fait qui a rapport au pot de fleurs et au géranium. M. Squills, qui était garçon et qui savait son monde, me faisait souvent de petits présents. Peu de temps après l’événement que je viens de raconter, il m’en fit un dont la valeur dépassait de beaucoup celle des objets qu’on donne ordinaire-