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L’étranger, d’un air fâché d’abord, et riant ensuite. C’est vrai. Je ne puis monter sur des échasses avec les souliers que j’ai. Mais il m’est impossible de donner des leçons. Le ciel soit en aide à ceux à qui j’en donnerais !… Voyons toute autre chose.

Pisistrate. Toute autre chose ! Vous me laissez une grande marge. Vous savez parfaitement le français… écrire et parler ; c’est beaucoup. Donnez-moi une adresse où je puisse vous trouver… ou bien voulez-vous venir chez moi ?

L’étranger. Non ! Le soir à la nuit tombante, nous nous rencontrerons. Je n’ai point d’adresse à donner ; et je ne puis montrer ces haillons à la porte de personne.

Pisistrate. Eh bien, à neuf heures du soir, ici dans le Strand, jeudi prochain. Je puis d’ici là trouver quelque chose qui vous convienne. En attendant… »

Il glisse sa bourse dans la main de l’étranger.

N. B. La bourse n’est pas des mieux garnies.

L’étranger, de l’air de quelqu’un qui vous accorde une faveur, met la bourse dans sa poche. Il y a quelque chose de si frappant dans cette absence de toute émotion au moment où ce secours inespéré l’arrache à la faim, que Pisistrate s’écrie :

« Je ne sais pourquoi j’ai un caprice pour vous, M. Affronte-diable, si c’est là le nom qui vous plaît le mieux. Le bois dont vous êtes fait paraît tortu et plein de nœuds ; et pourtant je crois que, dans les mains d’un sculpteur habile, il aurait beaucoup de prix.

L’étranger, surpris. Le croyez-vous ? le croyez-vous en vérité ? Je ne pense pas que personne, avant vous, ait eu cette opinion de moi. Mais je suppose que le bois dont on fait une potence pourrait aussi bien devenir le mât d’un vaisseau de guerre. Toutefois je vais vous dire d’où vient que vous avez ce caprice pour moi : c’est que les forts sympathisent avec les forts. Vous aussi, vous pourriez subjuguer la fortune.

Pisistrate. Arrêtez ! S’il en est ainsi, s’il y a sympathie entre nous, il devrait y avoir amitié réciproque. Eh bien, dites que cette amitié existe chez vous ; car si je puis toucher votre cœur, vous êtes déjà à moitié sauvé.

L’étranger, visiblement ému. Si j’étais un aussi grand co-