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Mon père avait l’air plus gai que d’habitude ; car devant lui était une épreuve, la première épreuve de son premier ouvrage, de son unique ouvrage, le grand ouvrage ! Oui, il avait définitivement trouvé une presse. Et la première épreuve du premier ouvrage… demandez à n’importe quel auteur ce que c’est ! Ma mère était sortie avec la fidèle Primmins, sans doute pour courir boutiques et marchés ; aussi, les deux frères étant ainsi occupés, il est naturel que mon entrée n’ait pas fait autant de bruit qu’une bombe, ou un chanteur, ou la foudre, ou la dernière grande nouvelle de la saison, ou toute autre chose qui faisait du bruit dans ce temps-là. Car qu’est-ce qui fait du bruit maintenant ? maintenant que la chose la plus étonnante est notre familiarité avec les choses étonnantes ; maintenant que nous disons avec indifférence : Une nouvelle révolution à Paris ! ou : Il paraît qu’il y a un remue-ménage du diable à Vienne ! maintenant que Joinville pêche dans les étangs de Claremont, et que l’on se retourne à peine pour voir passer Metternich sur la jetée de Brighton[1] !

Mon oncle hocha la tête et gronda sourdement ; mon père….

« Mit ses livres de côté ; vous nous avez déjà dit cela ! »

Vous vous trompez très-fort, monsieur l’interrupteur. Ce ne fut pas en ce moment qu’il mit ses livres de côté, car il ne s’occupait pas alors de ses livres ; il lisait son épreuve. Il sourit, et la montra (l’épreuve) d’un air ému et avec une sorte de malicieuse gaieté, comme pour me dire : « Que pouvez-vous attendre, Pisistrate ? Voilà mon nouvel enfant encore dans ses langes, ou en petit romain, ce qui est la même chose ! »

Je pris une chaise entre les deux frères, et regardai d’abord l’un, puis l’autre, et, Dieu me pardonne ! je me sentis un dépit rebelle et ingrat contre tous deux. Mon cœur devait être bien rempli d’amertume pour avoir débordé dans cette direction, mais le fait est qu’il déborda. Le chagrin de la jeunesse est un abominable égoïste, c’est bien vrai ! Je me levai et m’approchai de la fenêtre ; elle était ouverte, et, en dehors, était le canari de Mme Primmins, dans sa cage. Il s’était habitué au ciel de Londres et chantait joyeusement. Or, lorsque le canari me vit debout devant sa cage, le regardant avec ennui et d’un

  1. Ce passage indique l’époque où fut composé ce livre (1848).