Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/364

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redoutais de perdre le cœur de ton Austin à la moindre négligence de ta part ; il ne faut pas que je te fasse injure en attribuant à des motifs purement frivoles tes rêves des douceurs de la vie. Je sais que ton cœur, dans sa tendresse prévoyante, est tout aussi intéressé que ta vanité pourra jamais l’être aux pensées hospitalières qui t’occupent. D’abord, et avant tout, c’est le désir de ton âme que ton Austin s’aperçoive le moins possible du changement survenu dans sa fortune ; aussi faut-il autant que possible conserver à son humeur absorbée et savante ces interruptions qui l’irritaient, il est vrai, et provoquaient ses bah ! et ses papæ ! mais qui pourtant lui faisaient toujours du bien et rafraîchissaient le cours de ses pensées. Ensuite tu as la ferme conviction que la société de quelques bons amis et le noble plaisir de montrer ses ruines et de faire les honneurs de la grand’salle de ses ancêtres, arracheront Roland à ces sombres rêveries où il retombe encore parfois. Enfin, pour ce qui est de nous autres jeunes gens, Blanche ne doit-elle pas trouver des compagnes parmi les enfants de son âge et de son sexe ? Déjà il y a dans ses grands yeux noirs quelque chose de mélancolique et de mystérieux, comme dans les yeux de tous les enfants qui ne vivent qu’avec leurs aînés. Et quant à Pisistrate, avec ses projets renversés et le triste souvenir qui lui ronge le cœur (il cherche à se le cacher à lui-même, mais une mère et une mère qui a aimé le voit du premier coup d’œil), que peut-il y avoir de mieux pour lui que ces relations que la femme sait si bien nouer avec le monde qui nous entoure, si petit qu’il soit ?… De sorte que tu n’allais pas, comme le terrible Florentin,

Sopra lor vanita che par persona,

sur des ombres légères qui semblaient la substance d’êtres réels ; c’étaient plutôt les êtres réels qui semblaient des ombres, vanita.

Quelle digression ! Ne pourrai-je jamais raconter mon histoire simplement et sans détours ? Assurément je suis né sous le signe du Cancer, car tous mes mouvements sont détournés, obliques, pareils à ceux du crabe.