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vie privée. Mais sur le forum public, sur le marché de la fortune, cela n’est-il pas flocci, nauci, nihili ?

En un mot, cher monsieur et ami, il n’y a plus, dans ce vieux monde si peuplé, autant de place qu’en trouvaient nos hardis aïeux pour se démener et coudoyer leurs voisins. Non ; il faut rester assis comme des écoliers sur leur banc, et achever sa tâche le dos voûté et les doigts crispés. Il y a eu un siècle de pasteurs, un siècle de chasseurs et un siècle de guerriers. Nous sommes arrivés au siècle sédentaire.

Les hommes qui restent le plus longtemps assis emportent tout devant eux ; mais ce sont de pauvres êtres chétifs et délicats, aux mains juste assez fortes pour manier la plume, aux yeux si troublés par la lampe de minuit qu’ils ne trouvent pas de joie dans ce radieux soleil (qui m’entraîne aux champs, comme la vie attire les vivants), aux organes digestifs usés et affaiblis par cette flagellation incessante du cerveau. Certainement, si ce doit être le règne de l’esprit, il est inutile de murmurer et de se révolter contre le bât qui nous blesse ; mais est-il vrai que toutes les qualités dont j’ai été doué pour agir ne soient bonnes à rien ? Si j’étais riche, heureux et content, très-bien ; je tirerais, je chasserais, j’affermerais mes terres, je voyagerais, je jouirais de la vie et je me moquerais de l’ambition. Si j’étais assez pauvre et assez humblement élevé pour devenir garde-chasse ou piqueur, comme faisaient anciennement les gentilshommes pauvres, très-bien encore ; j’épuiserais cette vitalité qui me tourmente dans des combats nocturnes avec des braconniers, ou en franchissant de larges fossés et de hautes murailles. Si j’étais assez démoralisé pour vivre sans remords de la petite fortune de mon père et m’écrier avec Claudien : La terre me donne des festins qui ne me coûtent rien, très-bien toujours ; ce serait la vie qui convient à un légume ou à un très-petit poète. Mais examinons le cas où je me trouve ; et ici j’étale devant vous un autre feuillet de mon cœur ! Dire que, étant pauvre, je veux faire fortune, c’est dire que je suis Anglais. S’attacher à quelque chose de positif, voilà le propre de notre race entreprenante. Même dans nos rêves, quand nous bâtissons des châteaux en l’air, ce ne sont pas des châteaux de l’indolence ; et vraiment ils n’ont que très-peu des caractères du château ; ils ressemblent beaucoup plus à la banque de Hoare, à l’est de Temple-Bar ! Je désire donc faire fortune.