Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/392

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sité, en lui représentant comme une obligation sacrée de reconstituer cette dot, je réussis enfin à lui faire comprendre qu’il avait des motifs d’être économe.

Trois autres compagnons furent choisis par moi pour notre cleruchia. Le premier était le fils de notre vieux berger. Marié depuis peu, il n’était pas encore embarrassé d’enfants. C’était un bon berger, un homme intelligent et sûr. Le second avait un tout autre caractère. Il avait été la terreur de tous les propriétaires. Jamais il n’y eut braconnier plus hardi ni plus adroit. Or, voici comment j’avais fait connaissance avec cet individu nommé Will Peterson, et plus vulgairement Will o’ the Wisp (Feu-follet). Bolt avait imaginé d’élever une jeune colonie de faisans, qu’il honorait du titre de réserve, dans un petit taillis à un mille environ de la tour. C’était, de tout le domaine de mon oncle, la seule parcelle que, par courtoisie, l’on pût appeler bois. Cette colonie fut audacieusement ravagée et tristement dépeuplée, en dépit de deux gardes qui, avec Bolt, veillèrent pendant sept nuits consécutives sur les élèves endormis. Telle fut l’insolence de l’attaque, que, piff paff ! le traître fusil lâcha ses deux coups devant et derrière, à quelques pas seulement des sentinelles, et que, lorsqu’elles arrivèrent sur le lieu du délit, le braconnier avait déjà disparu avec sa proie. La hardiesse et la dextérité de l’ennemi désignèrent aussitôt Feu-follet aux gardes expérimentés ; mais la force et le courage de ce drôle inspiraient une si grande terreur, que les gardes désespérèrent de rivaliser avec lui de finesse et de célérité, et qu’ils refusèrent de veiller après la septième nuit. Le pauvre Bolt lui-même fut obligé de se mettre au lit, vaincu par une attaque de ce qu’un médecin eût appelé rhumatisme, et un moraliste, fureur. Cet échec mortifiant excita vivement mon indignation et ma sympathie, et les anecdotes qu’on m’avait contées de Feu-follet éveillèrent en moi un intérêt romanesque. Aussi je me glissai dehors à la nuit, armé d’un gros bâton, et me dirigeai vers le taillis. Les arbres avaient encore leurs feuilles, et je ne m’expliquais pas comment le braconnier pouvait voir ses victimes ; mais il tira cinq coups qui portèrent, sans me fournir une occasion de l’apercevoir. Je me retirai alors vers la lisière du bois, et j’attendis patiemment dans un angle d’où je voyais deux côtés du taillis. Au point du jour, je vis mon homme sortir des broussailles, à moins de vingt