Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/412

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pensant à votre père et même à votre oncle plus austère, que j’avais sur la conscience une dette dont je désirais vivement m’acquitter, sinon envers eux, du moins envers leurs enfants. Aussi, lorsque je fis votre connaissance, croyez que votre carrière, votre avenir, m’intéressa sur-le-champ. Mais je me trompai en vous voyant si ardemment occupé d’objets sérieux, et doué d’un esprit si plein d’énergie et d’élasticité. Absorbée que j’étais moi-même par des objets qui sont tout à fait en dehors du cercle ordinaire où se renferment les femmes, je ne songeai jamais, tant que vous fûtes notre hôte, au danger qui menaçait Fanny et vous-même. Je vous blesse ; pardonnez-moi, mais il faut que je me justifie. Je vous répète que, si nous avions un fils, héritier de notre nom et du fardeau que le monde impose à ceux qui sont nés pour avoir de l’influence sur les destinées du monde, il n’est personne à qui nous eussions, Trévanion et moi, confié le bonheur de notre fille plus volontiers qu’à vous. Mais ma fille représente à elle seule la lignée de sa mère et le nom de son père. Ce n’est pas son bonheur seulement que j’ai à consulter ; il faut que je regarde aussi ses devoirs, ses devoirs envers sa naissance et envers la carrière du plus noble des patriotes de l’Angleterre, ses devoirs (je puis le dire sans exagération) envers le pays pour lequel Trévanion est entré dans cette carrière.

— Arrêtez, lady Ellinor ; n’en dites pas davantage. Je vous comprends. Je n’ai pas d’espoir… je n’en ai jamais eu. Ç’a été un moment de folie… il est passé. C’est en qualité d’ami seulement que je vous demande encore si je puis voir Mlle Trévanion en votre présence, avant… avant que je parte seul pour ce long exil dans une terre étrangère où je laisserai peut-être ma dépouille mortelle… Oui, regardez-moi bien en face ; vous n’avez rien à craindre de ma résolution, de mon honneur, de ma loyauté. Rien qu’une fois, lady Ellinor, rien qu’une fois encore ! Ma demande sera-t-elle vaine ? »

Lady Ellinor était évidemment très-émue ; je me baissai, je me mis presque à genoux ; mais essuyant ses larmes d’une main, elle passa tendrement l’autre sur ma tête et me dit à voix basse :

« Je vous prie de ne pas me demander cela ; je vous supplie de ne pas voir ma fille. Vous avez montré que vous n’êtes pas un égoïste ; remportez encore cette victoire sur vous-même.