Page:Bulwer-Lytton - Aventures de Pisistrate Caxton.djvu/445

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timidement. Jamais, dans ce visage sillonné par de si profondes émotions, assombri par de si inexprimables douleurs, je n’avais vu un courroux si imposant, un désespoir si sublime. Je suivis la direction de son regard, fixe et sévère comme celui d’un prophète qui annonce le châtiment, et je frémis à l’aspect du fils. Tout son corps semblait s’affaisser et se rétrécir, comme si la malédiction le flétrissait déjà ; une pâleur horrible couvrait ses joues, ordinairement brillantes du sombre éclat de la jeunesse orientale ; ses genoux s’entre-choquaient ; enfin il poussa un faible cri, comme quelqu’un qui vient d’être frappé d’un coup mortel, couvrit son visage de ses deux mains et resta ainsi immobile, mais courbé en avant.

Instinctivement, je m’avançai et me plaçai entre le père et le fils, en murmurant : « Ayez pitié de lui ! Voyez, sa propre conscience l’écrase. » Puis me glissant vers le fils, je lui dis à demi-voix : « Allons, courage ! le crime n’a pas été commis, la malédiction peut être révoquée. » Mais mes paroles firent vibrer une mauvaise corde de cette nature sombre et rebelle. Le jeune homme retira soudain les mains qui cachaient sa figure, et releva son front d’un air d’arrogance et de défi.

Il me repoussa en s’écriant : « Arrière ! Je ne reconnais d’autorité à personne sur mes actions ni sur mon sort. Je ne veux pas de médiateur entre cette dame et moi ! Monsieur, continua-t-il en jetant sur son père un sombre regard, monsieur, vous oubliez notre pacte. Les liens qui nous unissaient ont été rompus ; votre pouvoir sur moi est annulé ; j’ai renoncé au nom que vous portez ; pour vous, j’étais et je suis encore comme mort. Je vous dénie le droit de vous interposer entre moi et l’objet qui m’est plus cher que la vie… Ô mademoiselle Trévanion, et ici il étendit les mains vers Fanny, ne repoussez pas mon unique prière, quoique vous me condamniez. Permettez-moi de vous voir seule un moment ; laissez-moi vous prouver que, si coupable que je sois, je n’avais pas les vils motifs qu’on me reprochera ; ah ! ce n’est pas l’héritière que j’ai voulu attirer dans un piège, c’est la femme que j’ai voulu obtenir ; oh ! écoutez-moi.

— Non, non, murmura Fanny en se serrant contre Roland ; ne m’abandonnez pas. Si, comme il paraît, cet homme est votre fils, je lui pardonne ; mais qu’il s’en aille !… sa voix me fait frémir.