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Mais, tandis que sur ce point son repentir paraît sincère, il n’en est pas de même relativement à sa conduite envers Mlle Trévanion. Son éducation bohémienne, les mauvaises compagnies qu’il a fréquentées, les romans extravagants qu’il a lus, l’habitude qu’il a prise de juger l’amour d’après les intrigues de théâtre, tout cela s’élève entre son intelligence et le sentiment de la fraude et de la perfidie dont il s’est rendu coupable. Il semble plus honteux du scandale que de la faute elle-même, plus désespéré de l’insuccès que reconnaissant d’avoir échappé au crime. Bref, il est impossible de refondre d’une seule pièce un pareil caractère : impossible, du moins à un artisan aussi inexpérimenté que moi.

Après une de ces entrevues, je me suis glissé dans la pièce où Austin était assis en compagnie de Roland. J’ai guetté le moment favorable où Roland, secouant sa rêverie, ouvrirait sa Bible et se livrerait à cette lecture avec toute son attention, toute sa résolution. Alors j’ai fait signe à mon père de me suivre hors de la chambre.

Pisistrate. — J’ai revu mon cousin. Cela ne va pas comme je voudrais. Mon cher père, il faut que vous le voyiez.

M. Caxton. — Moi !… oui, assurément, si je puis être de quelque utilité. Mais m’écoutera-t-il ?

Pisistrate. — Je le pense. Souvent un jeune homme respecte dans plus âgé que lui ce qui lui paraît présomption, venant de quelqu’un de son âge.

M. Caxton. — C’est possible. (D’un air rêveur.) Mais vous me dites que l’esprit de ce jeune homme est semblable à un navire qui a fait naufrage… Dans quelle partie de la charpente délabrée pourrai-je fixer le grappin ? Il paraît que la plupart des appuis sur lesquels on compte ordinairement nous feront défaut ici. Religion, honneur, souvenirs d’enfance, liens de famille, obéissance filiale, rien de tout cela… pas même l’intelligence de l’intérêt personnel dans le sens philosophique de ce mot. Et moi,… moi qui ne suis qu’un savant, je… Mon cher fils, je désespère.

Pisistrate. — Non, vous ne désespérerez pas… Il faut que vous réussissiez ; car, autrement, que deviendrait l’oncle Roland ? ne voyez-vous pas que son cœur va se briser ?

M. Caxton. — Donnez-moi mon chapeau. J’irai ; je sauverai cet Ismaël ; je ne le quitterai point qu’il ne soit sauvé.