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l’Orient, avec les arts, les lettres, les sciences, toutes les idées de liberté que nous avons héritées des Grecs. Mon père ne lui fît grâce de rien ; il inonda le pauvre Squills d’une averse de preuves établissant que, sans la guerre de Perse, jamais la Grèce ne serait devenue l’institutrice du monde. Puis, avant que la victime pût reprendre haleine, il fit descendre sur elle des flots de Huns, de Goths, de Vandales avec toute l’Italie.

« Quoi, monsieur ! s’écria mon père, ne voyez-vous pas que ces invasions dans Rome démoralisée ont régénéré l’humanité, purifié la terre des dernières souillures du paganisme, et que d’elles provient le christianisme affranchi des idolâtries par lesquelles Rome a corrompu la foi ? »

Squills éleva les mains vers le ciel et fit un effort pour parler. Mais la douche continua par Charlemagne, ses paladins et leurs compagnons. C’est là que mon père fut grand. Quel tableau il fit des éléments sauvages, épars et confus, de la société barbare ! Sous la main de fer du grand empereur franc établissant les maîtres dans leurs limites et fondant notre Europe sur sa base, Squills tomba dans une sorte de stupéfaction étourdissante. Mais en entendant ce mot croisades, il se cramponna à une paille et s’écria :

« Ici, je vous défie !

— Me défier ! » reprit mon père ; et tel était le fracas qu’on aurait pu croire que l’Océan descendait en douche sur le pauvre Squills. Mon père s’arrêta à peine sur les points secondaires qui excusent les croisades ; mais il énuméra avec une grande volubilité tous les arts introduits en Europe par cette invasion en Orient, et montra comment elle avait servi la civilisation par l’issue qu’elle ouvrit à la bouillante ardeur des chevaliers, par les éléments de dissolution qu’elle introduisit dans la tyrannie féodale, par l’émancipation des communes et l’affranchissement des serfs. Il insista, en les peignant des plus vives couleurs empruntées au ciel de l’Orient, sur les progrès immenses du mahométisme et les dangers dont la chrétienté était menacée ; il cita les Godefroi, les Tancrède, les Richard, unis par la nécessité en une ligue contre la marche redoutable du Coran et de son épée.

« Vous les appelez des fous ! s’écria mon père ; mais la folie des peuples est la politique du destin. Savez-vous que, sans la terreur répandue par les armées marchant sur Jérusalem, le