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et sans prétention furent disposés sur une table rustique au milieu du gazon ; et les convives s’assirent autour de cette table avec leurs hôtes. La lune les illuminait de sa blanche clarté, et le lac dormait paisible à leurs pieds comme une nappe d’argent. C’était un tableau digne d’un Boccace ou d’un Claude.

La conversation tomba tout naturellement sur la musique ; c’est presque la seule connaissance qu’on puisse accorder aux Italiens en général ; et encore ce savoir leur vient-il comme la lecture et l’écriture de Dogberry : naturellement. Car, pour ce qui est de la musique considérée comme science, les simples amateurs n’y connaissent pas grand’chose. Aussi vains et aussi fiers des derniers débris de leur génie national que l’étaient les Romains d’autrefois, de l’empire de tous les arts et des armes, ils considèrent comme barbares les harmonies des autres nations. Ils ne peuvent ni apprécier ni comprendre qu’on apprécie la grande musique allemande ; musique véritablement digne d’une nation d’hommes ; musique de la philosophie, de l’héroïsme, de l’intelligence et de l’imagination ; à côté de laquelle les mélodies de l’Italie moderne paraissent efféminées, fantastiques, et d’une faiblesse prétentieuse. Rossini est le Canova de la musique ; il a beaucoup de ce que celui-ci a de joli, mais rien de ce qu’il a de grand.

La petite réunion néanmoins parla musique avec une animation et un entrain qui charmèrent le mélancolique Maltravers ; depuis plusieurs semaines il n’avait eu d’autre société que ses pensées ; d’ailleurs, l’enthousiasme pour un art, quel qu’il fût, trouvait toujours en lui une prompte sympathie. Il écoutait avec attention, mais il parlait peu ; et de temps en temps, quand la conversation languissait, il examinait ses compagnons. Les six Milanais n’avaient rien de remarquable dans leur aspect ni dans leur conversation ; ils possédaient l’énergie et la volubilité caractéristiques de leurs compatriotes, avec quelque chose de la mâle dignité qui distingue le Lombard du Méridional, et un peu de la politesse française, que les habitants de Milan manquent rarement d’acquérir. Ils étaient évidemment de la classe moyenne, car Milan possède une classe moyenne qui promet beaucoup pour l’avenir. Mais ils ne se distinguaient en aucune façon d’un millier d’autres Milanais que Maltravers avait rencontrés sur les promenades et dans les cafés de leur noble cité. L’hôte était un peu plus intéressant. C’était un grand bel homme, d’environ quarante-huit ans, avec un front haut et des traits fortement empreints