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— La fermentation de la nouvelle école vaut peut-être mieux que l’immobilité de l’ancienne, dit Maltravers. Vous-mêmes, Signori, et il s’adresse aux Italiens ; vous qui, les premiers dans Pétrarque, dans le Tasse et l’Arioste, avez donné l’impulsion au genre sentimental et romantique ; vous qui avez élevé parmi les ruines mêmes de l’école classique, sur les débris de ses piliers corinthiens et de ses arcades fuyantes, les clochers et les créneaux de l’école gothique ; vous-mêmes, dis-je, vous délaissez en ce moment vos anciens modèles, et vous entraînez la littérature dans des voies plus nouvelles et plus larges. Ainsi va le monde : l’éternel progrès, c’est l’éternel changement.

— C’est très-possible, dit le signor Tiraboloschi, qui n’avait pas compris un seul mot de ce qu’on venait de dire. C’est même extrêmement profond ; en y réfléchissant, c’est beau… superbe. Vous autres Anglais, vous êtes si… si… Enfin c’est admirable. Ugo Foscolo est un grand génie ; Monti de même, et quant à Rossini, vous connaissez son dernier opéra ? Cosa stupenda ! »

Mme de Montaigne lança un regard vers Maltravers, frappa ses petites mains l’une dans l’autre, et partit d’un joyeux éclat de rire. La contagion gagna Maltravers qui rit aussi. Mais il se hâta de réparer la faute de pédantisme où il était tombé, en parlant à ses auditeurs un langage au delà de leur portée. Il prit une guitare, parmi les autres instruments de musique que les exécuteurs avaient apportés, et, après en avoir fait vibrer les cordes pendant quelques moments, il dit :

« Après tout madame, dans votre société, et au bord de ce lac éclairé par les rayons de la lune, la musique n’est-elle pas le meilleur moyen de communication entre nos pensées ? Tâchons d’obtenir que ces messieurs nous enchantent encore une fois.

— Vous anticipez le désir que j’allais exprimer, » dit l’ex-cantatrice ; Maltravers offrit la guitare à Tiraboloschi qui, du reste, brûlait du désir de faire admirer son talent. Il prit l’instrument en faisant une légère grimace de modestie, et dit à Mme de Montaigne : « Je vais vous chanter une romance composée par un jeune homme de mes amis, et que les dames admirent beaucoup, bien qu’elle me paraisse à moi un peu trop sentimentale. » Et il chanta les couplets suivants, comme font toujours les bons chanteurs, avec autant de sentiment que s’il eût été susceptible de les comprendre !