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— Et vous étiez une fausse prophétesse. Florence, de jour en jour, d’heure en heure, je vous aime davantage, plus que je n’aurais jamais cru pouvoir vous aimer.

— Alors, s’écria la fantasque jeune fille, empressée de se déchirer elle-même le cœur, alors il fut un temps où vous ne m’aimiez pas ?

— Florence, je serai franc ; non, je ne vous ai pas toujours aimée. Mais maintenant vous obtenez rapidement sur moi un empire plus grand que ma raison ne devrait le permettre. Seulement prenez garde ! Si vous désirez réellement posséder mon amour, prenez garde de ne pas armer ma raison contre vous. Florence, je suis fier. Si je suis un amant moins humble que d’autres ne l’eussent été, c’est précisément parce que je sais que vous auriez pu former des alliances plus splendides. Je ne serais pas digne de vous, si je gardais moins scrupuleusement le respect de moi-même.

— Ah ! dit Florence, que ces mots touchèrent au cœur, pardonnez-moi cette fois encore. Moi, je ne me pardonnerai pas de sitôt. »

Ernest la pressa contre son cœur, et il sentit que, malgré tous ses défauts, cette femme qu’il craignait de ne pas rendre aussi heureuse qu’elle le méritait par tous ses sacrifices pour lui, lui devenait bien chère. Au fond de son cœur il savait qu’elle n’était pas faite pour le rendre heureux, lui ; mais ce n’était pas là sa pensée ou sa crainte. L’amour que lui témoignait Florence avait arraché de ce cœur généreux toute préoccupation personnelle. Toute son inquiétude était de ne pas assez la récompenser de son amour.

Ils foulaient le gazon, tous les deux silencieux et rêveurs, Florence était triste quoique bien heureuse.

« Ce ciel pur, ces astres admirables, dit enfin Maltravers, ne nous prêchent-ils pas la philosophie de la paix ? Ne nous disent-ils pas que le calme appartient à la dignité de l’homme et à la sublime essence de l’âme. Les mesquines préoccupations, les soucis qu’on se donne soi-même ne sont pas dignes de notre véritable nature ; le trouble qu’ils nous causent est à lui seul une preuve qu’ils sont hostiles à nos sentiments. Ah ! ma douce Florence, que ces cieux, au-dessus desquels, selon la croyance des poëtes de l’antiquité, planaient les ailes de l’Amour primitif et céleste, nous enseignent ce que devrait être l’amour terrestre : une chose aussi pure que la lumière, aussi paisible que l’immortalité, qui veille sur le monde orageux auquel