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confondu des progrès qu’elle faisait. Il lui apprit bientôt à jouer par cœur ; et il ne put s’empêcher de remarquer que la main de son élève, toujours fine de contours, avait perdu la grossière couleur et la rudesse causées par le travail. Il pensait à cette jolie main plus souvent qu’il n’aurait dû, et maintes fois il la guidait sur les touches, lorsqu’elle aurait pu parfaitement se passer de son concours.

En arrivant au cottage, Maltravers avait commandé à la vieille servante de procurer à Alice des vêtements convenables ; mais à présent que cette dernière était admise à l’honneur « de tenir compagnie à monsieur, » sans attendre de nouveaux ordres, la vieille eut le bon sens d’acheter « pour la jolie jeune femme » des habillements, toujours simples à la vérité, mais d’étoffes plus fines, et d’une coupe moins primitive. De plus, les cheveux abondants d’Alice étaient maintenant soigneusement arrangés en boucles luisantes et symétriques ; la nature même en paraissait tout autre qu’auparavant. Le bonheur et la santé s’épanouissaient sur ses joues veloutées, et souriaient sur ses lèvres rosées, qui, demi-closes, laissaient toujours apercevoir ses dents blanches, à moins qu’elle ne fût triste…, et elle ne l’était jamais maintenant qu’elle n’était plus bannie de la présence de Maltravers.

En dehors de la grâce singulière et de la délicatesse de formes et de traits propres à Alice, il y a toujours chez les très-jeunes femmes quelque chose de la distinction de la nature (excepté pourtant lorsqu’elles sont plusieurs, et qu’elles se mettent à ricaner ensemble). Il est honteux, pour nous autres hommes, de voir combien leur souplesse s’adapte plus facilement aux formes policées et conventionnelles que ne le font nos angles rudes et masculins. Un garçon vulgaire demande, Dieu sait ! quelle assiduité pour faire trois pas, je ne dirai pas comme un gentilhomme, mais comme un corps qui se sent une âme. Mais qu’on donne le moindre avantage de société ou d’enseignement à une paysanne, et il y a cent à parier contre un qu’elle se civilisera avant que le garçon en question sache saluer sans renverser la table. Il y a du sentiment chez toutes les femmes, et le sentiment donne de la délicatesse aux pensées, et du tact aux manières. Le sentiment chez les hommes, au contraire, est plutôt d’acquit que d’instinct ; il procède des qualités intellectuelles, tandis que dans l’autre sexe il procède des qualités morales.

Dans le cours de ses leçons de musique et de chant, Mal-