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CHAPITRE XII.

Assurément, il y a des poëtes qui n’ont jamais rêvé sur le Parnasse.
(Denham.)
Retirez-vous avec dignité, avant que de plus jeunes que vous viennent en riant vous chasser de la scène.
(Pope.)
Vous voyez bien que vous fûtes sage de vous confier en moi.
(Dryden. Absalon et Achitophel.)

Le tuteur d’Ernest Maltravers, M. Frédéric Cleveland, était un fils cadet du comte de Byrneham, et avait droit, par conséquent, au titre d’Honorable. Il avait environ quarante-trois ans ; c’était un lettré et un homme à la mode, si l’on veut bien nous permettre cette expression vieillie, qui, dans tous les cas, a le mérite d’être plus classique et plus définie que toutes celles que l’euphémisme moderne a inventées pour la remplacer. M. Cleveland qui avait reçu une fort belle éducation et qui avait des talents naturels très-remarquables, aspira de bonne heure à la gloire littéraire. Il écrivait bien, et avec grâce, mais son succès, succès d’estime, ne contenta pas son ambition. Le fait est qu’une nouvelle école littéraire passionnait le public, en dépit des critiques ; une école bien différente de celle sur laquelle M. Cleveland modelait ses périodes froides et irréprochables. Ce vieux comte, qui avait été sous Charles Ier le bel esprit de la cour, fut trouvé trop ennuyeux sous Charles II, pour servir même de victime aux attaques des plaisants, car chaque siècle a sa monnaie littéraire, marquée à son coin, et relègue celle qui n’a plus cours, dans les bahuts et les vitrines, comme des curiosités délaissées. Les coteries eurent beau l’encenser, les critiques eurent beau l’adorer, les grandes dames et les dilettanti eurent beau acheter et faire relier ses volumes de poésie soignée et de prose cadencée, Cleveland ne put trouver faveur devant le public. Mais Cleveland avait une haute naissance et une belle fortune ; ses manières étaient charmantes, sa conversation facile ; il avait un caractère aimable et un esprit cultivé. Il resta donc un homme très-recherché dans la société, où il était à la fois aimé et respecté.