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Maltravers ne s’était pas demandé deux fois dans sa vie s’il était laid ou beau ; comme la plupart des hommes qui connaissent un peu les femmes, il savait que la beauté est de peu de secours pour se faire aimer d’elles. La tournure, les manières, le ton, la conversation, ce quelque chose qui intéresse, ce quelque chose enfin dont on peut être fier, tels sont les attributs de l’homme fait pour être aimé. Et neuf fois sur dix, le joli garçon n’est que l’oracle de ses tantes, ou « l’amour d’homme » des femmes de chambre !

Pour laisser là cette digression, Maltravers était content de pouvoir parler sa langue maternelle à madame de Ventadour ; la conversation commençait généralement en français, et imperceptiblement se continuait en anglais. Madame de Ventadour était éloquente, et Maltravers aussi ; pourtant on aurait peine à s’imaginer un contraste plus frappant que celui qu’offraient leurs aperçus moraux et leur conversation. Madame de Ventadour envisageait tout en femme du monde : elle avait un esprit brillant et réfléchi, qui n’était pas dépourvu de tendresse et de délicatesse de sentiment ; mais tout cela portait une empreinte mondaine. Elle avait été élevée au milieu des influences de la société, et son esprit trahissait cette éducation. À la fois spirituelle et mélancolique (union assez fréquente), elle était disciple de cette triste mais caustique philosophie produite par la satiété. Dans la vie qu’elle menait, ni sa tête, ni son cœur n’étaient engagés ; les facultés de l’un et de l’autre étaient irritées sans être satisfaites ou occupées. Elle sentait aussi, un peu trop vivement, le vide du grand monde, et elle avait mauvaise opinion de la nature humaine. En somme, c’était une de ces femmes des Mémoires français ; une de ces charmantes et spirituelles Aspasies de boudoir, qui nous intéressent par leur finesse, leur tact, leur grâce, et leur ton d’exquise élégance, et qui évitent de tomber dans la frivolité et le superficiel, en partie grâce à une connaissance approfondie du système social où elles se meuvent, et en partie grâce à un mécontentement touchant et à demi caché, des bagatelles sur lesquelles elles dissipent leurs talents et leurs affections. Telles sont les femmes qui, après une jeunesse de faux plaisirs, finissent souvent par une vieillesse de fausse dévotion. C’est une classe de femmes particulière à ces rangs de la société, et à ces pays, où resplendit et se fane cet être brillant et malheureux : une femme sans affections domestiques !