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Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/11

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est jeté sur une épaule, quoique le temps soit étouffant ; l’étranger porte sous le bras un parapluie rouge, de forme bizarre, avec un manche de cuivre ciselé, bien que pas un nuage ne se voie au ciel ; de chaque côté d’un chapeau de paille, aux bords prodigieusement larges, s’échappe une profusion de cheveux noirs, dont les boucles flottantes semblent aussi souples que la soie ; un teint jaune et basané, et des traits qui, sans être dépourvus de beauté pour un artiste, non-seulement diffèrent de ce que nous autres Anglais bien nourris, à la peau blanche et lisse, nous avons l’habitude de regarder comme beau, mais encore se rapprochent terriblement de ce que nous sommes disposés à regarder comme effrayant et diabolique ; pour m’expliquer enfin, vous avez devant vous un long nez, des joues creuses, des yeux noirs qui brillent d’un éclat perçant derrière de larges lunettes, et pour terminer le portrait, une bouche autour de laquelle se joue un sourire ironique, empreint d’une finesse singulière et d’un certain mystère. Représentez-vous ce personnage grotesque, étranger et vraiment diabolique aux yeux d’un paysan ; puis placez-le sur la barrière au milieu de ces champs verdoyants de l’Angleterre, en face de ce primitif village anglais ; asseyez-le là à califourchon, ses longues jambes pendantes ; qu’une courte pipe allemande laisse échapper de ses lèvres sardoniques des nuages de fumée, que ses yeux noirs lancent à travers ses lunettes tout leur éclat sur le curé questionnant encore Lenny, et vous croirez sans peine que Lenny fut pris d’une peur horrible.

« Vraiment, docteur Riccabocca, dit M. Dale en souriant, vous venez fort à propos pour résoudre une question digne d’un casuiste tel que vous. » Et le curé raconta le cas et posa la question : « Lenny Fairfield doit-il, oui ou non, avoir la pièce de douze sous ?

Cospetto ! dit le docteur, si la poule voulait se taire, personne ne saurait qu’elle a pondu un œuf. »


CHAPITRE IV.

« Accordé, dit le curé ; mais que s’en suit-il ? Le proverbe est bon, mais je n’en vois pas l’application.

— Mille pardons ! répliqua le docteur Riccabocca, avec toute l’urbanité d’un Italien ; mais il me semble que si vous aviez donné le six pence au fanciullo — je veux dire à ce bon petit garçon — sans lui raconter l’histoire de l’âne, vous ne vous seriez embarrassés ni lui ni vous dans ce maladroit dilemme.

— Mais, mon cher monsieur, dit tout bas le curé avec douceur, en se penchant vers l’oreille du docteur, j’aurais alors perdu l’occasion d’inculquer une leçon de morale, vous comprenez. »